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160.1 - Oeschinensee forever
Emmanuel Belut
mardi 29 novembre 2011
Participants : Emmanuel Belut (USAN), Thomas Guigon, Natacha Stricker (CAF Morteau), Christelle Durand (S.C.C.C.), Michel Armand, Boris et Anne-Claire Sargos (Vulcains), Yves Daniou (Vulcains/GUM), Laurence Boyé (GUM)
D’abruptes parois de pierre se mirent dans l’encre du lac Oeschinen. Là-haut, les cimes glacées du Doldenhorn et du Fründenhorn étincellent sous les premiers rayons du soleil. Devant nous, le sombre repli de rocher qui dissimule notre objectif semble inaccessible : les flancs austères de l’Oeschinenhorn le surplombent massivement de leurs cohortes d’à-pics, et deux glaciers suspendus défendent son accès de leurs séracs menaçants. Qui pourrait croire que cette paroi hostile cache une descente intéressante ? Pourtant, nous voici neuf canyonistes à gravir péniblement la pente, ployant sous le poids des grandes cordes, des amarrages et autres perforateurs. Au terme de près de 2h30 de marche, nous voici au pied du bourrelet rocheux qu’il nous faudra escalader pour démarrer la descente suffisamment haut. Tom se charge de franchir en tête les quelques vingt mètres d’escalade requis, installant au passage une corde pour assurer le reste du groupe. Alors que notre cohorte franchit lentement ce passage clé, les premiers arrivés démarrent aussitôt l’ouverture du canyon d’Oberoeschninenfall : en effet, pour éviter toute augmentation du débit engendré par la fonte du glacier, il est préférable d’être sorti avant 14 h, et nous sommes nombreux... Je plante rapidement un piton muni d’un rataillon (N.D.L.R. : rataillon, mot d’origine provençale signifiant petit bout ou reste) de corde pour faciliter la première désescalade, avec le secret espoir que les derniers passés le récupèreront. Très vite, une première cascade se révèle et nous plonge dans un sombre boyau minéral.
La roche est belle et travaillée, et le boyau débouche après quelques obstacles sur la magnifique cascade en tube d’une trentaine de mètres qui conclut le premier encaissement. « Toboggan ! », me crie Nat, arrivée en bas la première. Mais je préfère descendre sagement, par égard pour le perfo que j’ai pris en bandoulière. D’ailleurs la vasque d’arrivée se révèle plus profonde que prévue, et je dois me contorsionner pour éviter de mettre à l’épreuve l’étanchéité de mon précieux chargement.
L’encaissement s’ouvre ensuite sur une zone détritique, aussi je sors en rive droite pour rejoindre directement le départ de l’encaissement principal repéré le week-end précédent : alors que le flanc de la montagne tombe abruptement sur le lac en un cassé de près de trois cents mètres, le torrent plonge dans un gouffre spectaculaire et disparaît au détour d’un virage, après une chute d’une quarantaine de mètres. Une fois l’amarrage planté, je me retrouve bien en avance sur le reste du groupe, et j’en profite pour faire une petite sieste à l’ombre car la température est estivale. Ne voyant personne venir, je finis par remonter la rive du canyon pour en savoir plus, quand un grondement de perfo remontant de la partie contournée m’arrête : quel boulet ! En discutant avec mes coéquipiers, j’apprends que j’ai tout bonnement raté une petite section de canyon tout à fait intéressante !
Nous formons maintenant un petit groupe de cinq à l’avant-garde. Voici venu le moment de s’engager dans le vif du sujet, car à partir de maintenant et sur
Cette fois, c’est parti pour de bon. Je découvre que le toboggan initial finit sa course dans une petite vasque suspendue, après une quarantaine de mètres, ce qui me semble fort pratique pour installer un premier relai. J’explique mon cas à Laurence au bout du fil, puis plante un premier point. Toujours radin à l’idée de laisser autant de magnifiques et onéreux amarrages inox, j’interroge Laurence au talkie : « Et là, j’en mets combien ? ». « DEUX ! » hurle-t-elle en réponse, accompagnée par un chœur de supporter. J’obtempère avec résignation, en attendant que Tom me rejoigne avec une corde. La corde installée, je reprends mon périple. Une vingtaine de mètres plus bas, une cassure nette précédant une section plein vide m’oblige à fractionner de nouveau pour éviter un frottement : malheureusement, la dalle semble fracturée et j’ai un peu de mal à choisir un endroit idéal, d’autant que l’absence de prises m’empêche de m’écarter. En cet endroit inconfortable, je ne songe même pas à me limiter à un point. Une fois le nouveau relai installé, c’est Laurence qui me rejoint et qui place sa corde. Vaille que vaille, je repars encore une fois, et je franchis à nouveau un peu plus d’une quarantaine de mètres avant de fractionner une dernière fois, sous la petite pluie de la cascade. J’essaie de communiquer au talkie avec Tom, resté au premier relai, mais en vain. Alors que Michel me rejoint, j’admire la vue sur la cascade du torrent voisin qui jaillit de la paroi par un trou béant, et je réalise alors que le débit est bien plus important qu’au début. Enfin la dernière longueur de la cascade se révèle encombrée de nombreux blocs instables que je déloge dans un fracas assourdissant, avant d’atterrir enfin en bas.
Après une petite pause bien méritée, je m’offre un petit tour de propriétaire et découvre le début de l’encaissement final du canyon, où Ober et Under Oeschinenbach confluent avec majesté. Tout en installant tranquillement un amarrage pour poursuivre la course, je contemple les grappes de canyonistes qui s’échelonnent sur les quelques
En discutant avec mes coéquipiers, j’apprends qu’Yves et Tom, derniers à franchir la grande cascade, ont assisté avec inquiétude à une rapide montée des eaux, d’autant plus préoccupante que celle-ci ne semblait pas vouloir s’arrêter, et qu’ils ne pouvaient pas quitter leur relai. Ainsi certains des relais que j’ai placé au sec 1h40 avant leur passage se sont retrouvés ensuite dans l’actif* ! (*.e. dans le trajet de l’eau). Me voilà un peu dépité par cette information, car la répétition du canyon en débit normal risque de nécessiter un rééquipement de la grande cascade ! Mais pour l’heure, voici venu le moment de rentrer, et nous longeons le lac le plus longtemps possible pour retarder le moment fatidique : en effet, aucun chemin ne nous permet de rejoindre notre point de départ, et nous devons nager sur plus de
Il nous faudra encore une petite heure de marche pour rejoindre le parking, puis le gîte, où quelques bières et une plâtrée de pâtes achèvent de nous plonger dans une somnolence que seule une nuit de sommeil parviendra à effacer.
Le matin venu, nous nous scindons en deux groupes : Boris, Anne-Claire, Michel et Chris partent pour descendre le canyon de Bärgli, ouvert la semaine précédente, tandis que les autres, rejoints par Timo Stammwitz (CAS), vont ouvrir un des canyons du groupe des cascades de Frunden (Frundenfälle), qui descendent du Doldenhorn. Après une première heure de marche, nous atteignons le lac Oeschinen où nous récupérons les grandes cordes et les perfos, dissimulés la veille dans les buissons. C’est alors que je découvre que j’ai oublié de remonter les batteries, mises soigneusement à charger la veille !!! Bilan : nous n’avons plus qu’un perfo opérationnel, avec seulement une batterie chargée le soir précédent... Nous reprenons l’ascension, accompagnés par les grognements de Timo que nous avons empêché de prendre son perfo en arguant du fait que nous en avions déjà deux... Après deux heures de marche, nous quittons le sentier et rejoignons le point critique de l’accès repéré la semaine précédente, un bourrelet rocheux très raide recouvert d’herbe qu’il nous faudra escalader pour continuer. Tom est encore une fois désigné volontaire et sécurise le passage avec mes désormais célèbres amarrages à vis multi-monti. Le passage est rapidement franchi et nous terminons l’approche en traversée, jusqu’à la partie supérieure du bras ouest des cascades de Frunden. Dans la perspective du canyon, le lac Oeschninen présente maintenant une magnifique couleur bleue marine. Nous entamons rapidement la descente qui se révèle presque totalement sèche en cette saison. Le canyon est bien creusé et continu, mais sur une faible profondeur et le manque d’eau le rend moins intéressant. Rapidement la première batterie du perfo rend l’âme, et nous décidons de ne plus mettre que des goujons courts pour économiser la deuxième. Enfin nous voici au départ de la belle cascade en goulotte qui débouche sur le sentier d’accès, estimée à une trentaine de mètres depuis le chemin. Yves l’équipe avec style, et je mets la longueur de corde supposée, puis Nat part dans l’inconnu. Rapidement elle me demande de débrayer, puis encore, et encore, tant et si bien que je passe une soixantaine de mètres dans l’affaire avant de l’entendre siffler « libre ». Les uns après les autres, toute la petite équipe s’engage dans la cascade. À entendre quelques « ploufs » et quelques cris d’orfraie, sans parler des sifflements désespérés de Laurence me demandant d’arrêter de la débrayer sur la fin (elle porte le perfo !!!) je me doute qu’une vasque profonde et imprévue conclut la descente. En effet, la cascade forme un beau toboggan s’achevant dans un véritable puits insondable et glacé, qui pourrait se révéler problématique lors de la descente en eau de ce canyon.
La suite de la descente présente également de fort beaux passages, plus profondément creusés qu’au départ, puis débouche sur un dernier cassé d’une quarantaine de mètres dans une falaise inesthétique et délitée. Après quelques tergiversations liées à la capacité restante de la batterie, nous terminons l’équipement de cette partie avec un relai sur monopoint quelques mètres sous le seuil de cette dernière cascade, rendu nécessaire pour éviter un dangereux frottement sur des blocs instables. Il faudra quelque peu insister pour forer le dernier trou dans une position particulièrement pénible, chose que j’accomplis avec stoïcisme, mais néanmoins avec moult grognements !! Tout le monde semble pressé de finir la descente et franchit prestement le fractionnement, sauf Timo qui n’est pas très acrobate dans l’âme et qui injurie copieusement l’équipement. Nous contournons ensuite les derniers obstacles, au grand dam de Timo qui est un vrai perfectionniste, pour terminer sur la grève du lac où nous nous préparons encore une fois à rentrer à la nage. C’est quelque peu fatigués que nous redescendons ensuite à pied à Kandersteg où les voitures nous attendent. Malheureusement le week-end ne s’arrête pas là, et il nous faut encore reprendre la route pour regagner nos pénates respectives : nous nous séparons et nous donnons rendez-vous dans les Grisons la semaine suivante, fiers et heureux d’avoir ouvert toutes ces nouvelles descentes sur les bords du sublime lac Oeschinen.
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