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178.1 - Les perles des cavernes du Spéléodrome

Christophe PRÉVOT

samedi 8 juin 2013

Parmi les premières choses qui frappent les visiteurs (y compris les spéléologues expérimentés !) du Spéléodrome de Nancy, ce sont les perles des cavernes ou pisolithes. Et pour cause ! Lorsqu’on est amené à marcher, non pas précautionneusement à côté de quelques perles, mais gaillardement sur un tapis de perles d’une épaisseur d’une vingtaine de centimètres sur une largeur de plus d’un mètre et une longueur de plusieurs mètres, et ceci de manière répétée, cela surprend. Le Spéléodrome est une véritable usine à perles ! Ici, on n’évite pas les perles, on marche allégrement dans des centaines, des milliers, voire des dizaines de milliers de perles.

Le premier constat qui me vient à l’esprit c’est que toutes ces perles n’étaient pas là lors de l’ouverture du Spéléodrome en 1991 ni même dans les premières années où nous nous y promenions. En fait elles sont apparues petit à petit depuis une vingtaine d’années.

Le second constat est la zone d’abondance des perles : dans le lit de la rivière, principalement entre l’aval immédiat du puits de la Vierge et le serrement (ou sas), juste en amont du puits de Haute-Borne, qui permettait de réguler le débit de la l’eau circulant dans la galerie drainante.

Ces perles varient en termes de taille, de quelques millimètres de diamètre à plus d’une dizaine de centimètres. Leur aspect n’est pas lisse, comme c’est traditionnellement le cas, mais « grumeleux ». La coupe transversale d’une grosse perle montre un important noyau de béton entouré d’une gangue de calcite (?) d’environ 5 millimètres d’épaisseur ; cette gangue n’est pas homogène mais, au contraire, « aérée ».

On sait qu’au Spéléodrome l’eau est très calcaire (environ 130 mg/L) et que le concrétionnement y est rapide. Les divers spéléothèmes présents (stalactites, coulées stalagmitiques, draperies, microgours, « fleurs » en sortie des drains, etc.) ont au plus un siècle d’âge puisque le creusement de la galerie a été effectué entre 1899 et 1906. D’ailleurs dès 1919 le conseil municipal de Nancy se plaignait de diminutions du débit dues au bouchage des fontaines artificielles par des dépôts de calcite, preuve de la vitesse et de l’importance des dépôts !

La faible épaisseur de calcite et le souvenir de l’absence de perles il y a 22 ans laissent donc penser que l’apparition de ces perles s’est faite sur les vingt dernières années. De plus, la zone d’abondance (l’aval immédiat du puits de la Vierge) permet de logiquement mettre en corrélation l’apparition des perles avec la réouverture du puits de la Vierge, qui est l’événement majeur survenu dans l’évolution de la galerie depuis les années 1970.

En effet, alors que nous travaillions entre 1989 et 1991 dans le puits de la Vierge pour éliminer le bouchon l’obstruant sur une vingtaine de mètres (soit environ 60 m3 de déblais et déchets divers), une importante quantité de particules plus ou moins grosses ont été mises en circulation dans la rivière. D’ailleurs, il reste nombre de particules au pied du puits et chaque fois que quelqu’un arrive à sa base il remue l’eau qui se trouble et noircit très rapidement ; cette eau maculée rejoint rapidement le collecteur et le souille à son tour sur plusieurs mètres, rendant l’eau totalement opaque. Ces particules sont transportées par la rivière et se déposent au fur et à mesure dans le lit, jusqu’au sas où elles « coulent » dans le fond du petit bassin de rétention à un peu plus d’un mètre de profondeur.

Mon hypothèse est donc que les perles se forment depuis une vingtaine d’années par cristallisation (ou précipitation chimique) de la calcite dissoute dans l’eau autour des particules déversées dans la rivière lors du débouchage du puits de la Vierge et, depuis, à chaque passage de spéléos. Les perles sont absentes après le sas car les particules ne circulent plus au-delà.

Les travaux engagés depuis quelques années au puits de la Haute-Borne, notamment le déplacement de morceaux de bois qui se désagrègent à chaque contact, pourraient engendrer le même phénomène d’ici quelques années dans le lit du collecteur en aval de ce puits.

Les perles traditionnelles et lisses se forment habituellement sous une mince couche d’eau, souvent sous un goutte-à-goutte. Il est d’ailleurs couramment admis que la perle est lisse à cause de son mouvement de rotation dû au goutte-à-goutte ce qui la polit ; je ne partage pas cette opinion car certaines perles observées dans la carrière souterraine du village de Savonnières-en-Perthois sont en forme d’amande aplatie et ne peuvent pas tourner sur elles-mêmes et être polies par un phénomène de rotation. De même, la surface des spéléothèmes fabriqués par un écoulement d’eau peu épais a un aspect plutôt lisse. On retrouve le même aspect lisse lorsqu’une fine couche de calcite cristallise à la surface d’une eau stagnante. Je penche donc plutôt pour un aspect lisse dû à une faible épaisseur d’eau qui ne permet qu’une cristallisation « de surface ». À l’inverse, les perles du Spéléodrome se forment dans le lit du collecteur, « en profondeur » sous une épaisseur d’eau de quelques centimètres à quelques décimètres, tout comme le concrétionnement qui s’effectue généralement sous l’eau comme dans le fonds des gours et qui n’est pas lisse mais grumeleux, comme un chou-fleur.

Ma seconde hypothèse est donc que la cristallisation peut se faire sur la particule qui sert de noyau de manière peu homogène à cause de la quantité d’eau qui l’entoure, ce qui donne cet aspect très grumeleux et qui explique la structure aérée de la gangue de calcite.

Je laisse ces réflexions à des géologues et sédimentologues qui pourront en tester la validité et mener des études poussées sur ce sujet.

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