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327.1 - Impact de la présence militaire à Nancy sur la réalisation du Spéléodrome
Christophe Prévot
samedi 1er novembre 2025, par
Lors des travaux bibliographiques réalisés par les étudiants de l’Institut polytechnique UniLaSalle de Beauvais en 2024-2025, il a été découvert une « convention pour la fourniture de l’eau nécessaire aux établissements militaires de la place de Nancy » signée le 26 septembre 1900. Il y est question de fournir gratuitement 1 800 m3 d’eau par jour pour les besoins de la garnison, les quantités supplémentaires étant facturées par la ville. La question de l’alimentation en eau des établissements militaires a donc conduit à s’interroger sur les motivations premières de la réalisation de la galerie captante de Hardeval, aujourd’hui Spéléodrome de Nancy, dont le pré-projet a été présenté le 4 novembre 1897 et dont le début des travaux remonte au 17 février 1898 : prépondérance de l’augmentation de la population « civile » ou de l’augmentation de la présence militaire ?
Population nancéienne
Nous disposons du dénombrement de la population nancéienne à peu près tous les 5 ans sauf entre 1861 et 1872 (11 ans). Ces relevés permettent d’établir un taux de progression annuel moyen entre 1861 et 1921 qui montre un taux très au-delà des autres sur la période 1872-1876. En effet, la population nancéienne passe de 52 978 habitants en 1872 à 66 303 en 1876 soit +25,2 % en 4 ans, ce qui correspond à une augmentation annuelle moyenne de 5,769 % ; c’est un taux extrêmement important correspondant à un doublement théorique de population de 12 ans ! La progression est plus stable sur les 35 années suivantes, avec un taux moyen de progression annuelle de 1,708 % entre 1876 et 1911 (pic de 119 949 habitants).
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1861 |
1872 |
1876 |
1881 |
1886 |
1891 |
1896 |
1901 |
1906 |
1911 |
1921 |
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Population de Nancy |
49 305 |
52 978 |
66 303 |
73 225 |
79 038 |
87 110 |
96 306 |
102 559 |
110 570 |
119 949 |
113 226 |
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Accroissement annuel moyen entre 2 recensements (en %) |
0,455 |
0,655 |
5,769 |
2,006 |
1,540 |
1,964 |
2,027 |
1,266 |
1,516 |
1,642 |
‑0,575 |
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D’après page « Nancy », chapitre « Évolution démographique », Wikipédia, 14/9/2025. | |||||||||||
Ces taux annuels moyens permettent d’extrapoler de manière linéaire la population nancéienne sur chaque année sur la période étudiée. Le graphique obtenu permet de visualiser très clairement le bond lié à l’augmentation de population entre 1872 et 1876 puis une progression plus régulière, mais moins intense, durant les 35 années qui suivent. L’essentiel de cette augmentation de population de Nancy peut s’expliquer par deux phénomènes :
-
L’augmentation de la population « civile », au travers de l’arrivée de nombreux migrants, les optants, ayant quitté les territoires annexés par l’Allemagne à la suite du traité de Francfort du 10 mai 1871 qui mettait fin à la guerre franco-allemande de 1870-1871, puis de l’arrivée de populations ouvrières accompagnant l’essor industriel du secteur ;
-
L’augmentation de la garnison militaire de Nancy avec l’arrivée progressive des troupes.
Concernant les optants, Delphine Diaz estime, page 141 de son ouvrage En exil. Les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, qu’il y eut plus de 125 000 optants pour la nationalité française sur les 1 500 000 habitants des territoires annexés par l’Allemagne (8,3 %). Ces optants devaient avoir quitté la zone annexée au 1er octobre 1872… Ceci peut donc expliquer l’augmentation spectaculaire de la population nancéienne très rapide avec l’arrivée massive d’optants en 1872-1873.
Garnison militaire nancéienne
Entre 1852 et 1870 la garnison de Nancy oscille entre 1 500 à 2 000 hommes avec néanmoins un pic exceptionnel de 3 217 hommes en 1856 (Gérard, p. 77). Durant cette période, les troupes sont stationnées dans les casernements de Stanislas composés du quartier Royal (caserne Sainte-Catherine puis Thiry), du quartier Saint-Jean (abandonné à la ville en 1884) et de la caserne de la Citadelle (caserne Hugo, qui deviendra le rectorat) (Dumontier, p. 131 & 133). En janvier 1870 la garnison se compose d’une brigade d’infanterie comprenant les 57e et 60e régiments d’infanterie (RI) et du 1er régiment de cuirassiers (Dumontier, p. 132 ; Gérard, p. 77). Le 21 juillet 1870, la Garde impériale arrive à Nancy ce qui pose de gros problèmes de ravitaillement à la municipalité car la population nancéienne se voit alors presque doublée selon Gérard (p. 77) ! Les troupes allemandes occupent Nancy dès le 16 août 1870 : la garnison allemande atteint 2 921 hommes en 1873 (74e, 78e et 91e RI allemands). Nancy est finalement libérée le 1er août 1873 à la suite du paiement anticipé par la France des indemnités de guerre prévues par le traité de Francfort (Gérard, p. 77-78).
En 1873 le 26e RI s’installe caserne Sainte-Catherine, suivi de 6 compagnies du 69e en 1874. Le 1er avril 1874 Nancy devient le quartier général de la 11e division d’infanterie (DI), la « division de fer », et de la 21e brigade composée des 26e et 59e RI. S’installent également à Nancy la 5e division de cavalerie et les 2e et 4e brigades de hussards. Entre 1878 et 1884 les baraquements allemands du Champ-de-Mars (avenue de la Garenne ; emplacement actuel de la cité judiciaire) sont transformés et agrandis et deviennent le quartier Donop en 1887. En 1884 la caserne Saint-Charles (appelée par la suite caserne Landremont puis caserne Verneau) est construite chemin Saint-Charles (renommé rue du Sergent-Blandan en 1886) et reçoit le 37e RI.
En 1887 un casernement provisoire s’installe à Vandœuvre au lieu-dit Brichambeau qui devient par la suite le quartier Drouot. À côté de la caserne Landremont une partie du 79e RI s’installe dans un baraquement qui deviendra la caserne Molitor en 1906. Le plan de Nancy de 1890 ne fait alors apparaître que les casernes de la Citadelle (Hugo), Sainte-Catherine (Thiry), de cavalerie (quartier Donop), d’infanterie (caserne Landremont), les baraquements correspondant à la caserne Molitor ainsi que l’hôpital militaire Saint-Jean (emplacement de l’actuelle tour Joffre-Saint-Thiébaut et du centre des congrès Prouvé). En 1895, 6 compagnies du 69e RI s’installent de l’autre côté de la caserne Landremont, dans une nouvelle caserne, la caserne Blandan. En 1898, le 20e corps d’armée est créé avec Nancy pour quartier général : il se compose des 11e et 39e divisions d’infanterie, la première étant casernée à Nancy, la seconde à Commercy et Toul. Débuté en 1901 rue du Sergent-Blandan, proche des casernes Blandan, Landremont et Molitor, le nouvel hôpital militaire est achevé en 1909 et remplace le vieil hôpital Saint-Jean ; il sera dénommé hôpital Sédillot le 19 octobre 1913 par décision ministérielle. Hors de Nancy, à Essey, les quartiers Kléber sont finalement terminés en 1913 et reçoivent l’intégralité du 69e RI.
En 1914, à la veille de la guerre, Nancy comprend (Dumontier, p. 138) :
- Palais du gouvernement : commandement du 20e corps d’armée
- Place de la Carrière : commandement de la 11e division d’infanterie
- Rue Bastien-Lepage : commandement de la 20e brigade d’artillerie
- Porte de la Citadelle : commandement du génie du 20e corps d’armée et de la 21e brigade d’infanterie
- Cours Léopold : commandement de la 22e brigade d’infanterie
- Hôpital militaire Sédillot : état-major du service de santé du 20e corps d’armée
- Caserne Hugo : direction de l’intendance, chefferie du génie, 20e escadron du train des équipages
- Caserne Blandan : éléments d’artillerie lourde du 8e régiment d’artillerie
- Quartier Donop : 5e régiment de hussards
- Quartier Drouot (à Vandœuvre) : 8e régiment d’artillerie de campagne
- Caserne Kléber (à Essey) : 69e RI
- Caserne Landremont (ou Verneau) : 37e RI
- Caserne Molitor : 79e RI
- Caserne Sainte-Catherine (ou Thiry) : 26e RI
Les nouvelles casernes (Blandan, Donop, Drouot, Kléber, Landremont et Molitor) ont été construites entre 1878 et 1913, avec l’arrivée des troupes et la structuration progressive du futur 20e corps d’armée et dont le général de corps d’armée Ferdinand Foch prend le commandement le 11 août 1913 en s’installant au palais du gouvernement. Il semble que l’essentiel des troupes soit arrivé entre 1873 et 1895.
Il n’est guère aisé d’obtenir des effectifs précis des troupes présentes spécifiquement à Nancy, les casernes Drouot et Kléber étant à l’extérieur de la ville leur alimentation en eau dépendait de chaque commune… Considérant qu’un corps d’armée est composé d’environ 20 000 hommes et que seule la 11e DI est cantonnée à Nancy (la 39e l’étant à Commercy et Toul), l’effectif militaire nancéien doit être d’au plus 15 000 hommes en 1914 ce qui correspond au gabarit de l’hôpital Sédillot, « bien adapté à une importante garnison d’une quinzaine de milliers d’hommes » (Larcan, p. 150). Les archives départementales conservant les listes nominatives des recensements de population dont les listes pour Nancy à partir de 1872, il est néanmoins possible d’établir un tableau comprenant la population civile et la population militaire en sachant que :
- Les listes nominatives ne distinguent pas les types de populations dans les recensements de 1872, 1876 et 1881 : je suppose que les effectifs militaires sont inclus.
- Les recensements de 1881 manquent pour les 3e, 4e et 5e sections de Nancy (les casernes Donop, Blandan, Landremont et Molitor ainsi que l’hôpital Sédillot sont situés dans la 3e section de la ville…).
- Les recensements sont incomplets (p. ex., les effectifs militaires de la 7e section de Nancy n’apparaissent pas alors que devraient s’y trouver les effectifs du palais du gouvernement et de la place Carrière).
- Enfin, pour les recensements de 1886 à 1911 j’ai fait le choix de prendre en compte la population municipale et les militaires sans tenir compte des autres catégories de population comptées à part (hospices, écoles spéciales, maisons d’éducation, etc.).
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1872 |
1876 |
1881 |
1886 |
1891 |
1896 |
1901 |
1906 |
1911 |
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Population municipale totale |
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42 071 |
69 481 |
75 590 |
83 684 |
90 539 |
98 325 |
106 682 |
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Population militaire totale |
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203 |
5 779 |
8 084 |
9 057 |
8 099 |
9 056 |
9 584 |
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Population nancéienne totale |
50 564 |
61 313 |
42 274 |
75 260 |
83 674 |
92 741 |
98 638 |
107 381 |
116 266 |
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Relevés de 1881 incomplets (manque : 3e, 4e et 5e sections de Nancy). D’après « Listes nominatives de recensement de population », Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, 14/9/2025 | |||||||||
La population militaire de Nancy est donc passée d’environ 3 000 en 1870 à 5 800 en 1886 puis 9 100 en 1896. Parallèlement, la population nancéienne était d’environ 50 600 habitants en 1870, 75 000 en 1886 et 92 700 en 1896 : l’armée représentait donc 6 % de la population en 1870, 8 % en 1886 et 10 % en 1896. L’accroissement de la population militaire de 6 100 hommes est à mettre en regard de l’accroissement global de Nancy sur cette période de 42 100 habitants : l’impact militaire représente 14,5 % de cet accroissement, l’augmentation de l’effectif militaire semblant surtout intervenir à partir de 1878 d’après les écrits de Dumontier, Gérard et Larcan.
Les évolutions de population nancéienne permettent aussi d’observer des périodes plus importantes d’augmentation de population après 1876 : 1876-1881, 1886-1891 et surtout 1891-1896, plus haut taux d’accroissement après la période 1872-1876, mais qui ne correspond pas à une arrivée « massive » de troupes (seulement +973 hommes contre +2 305 sur 1886-1891 qui semble être la plus grosse hausse en effectif militaire, dont +1 807 sur la 3e section de la ville). Ce fort accroissement de population pour 1891-1896 semble donc plutôt lié à l’essor industriel, comme celui de 1872-1876 l’est vraisemblablement à l’arrivée des optants.
Conclusions
Édouard Imbeaux, dans son avant-projet, évoque la piètre qualité de l’eau de Moselle (p. 3‑4), les mauvais captages d’eau de source et les sous-sols contaminés ayant conduit à des épidémies dans la population (p. 5‑6), ainsi que dans la garnison (p. 35) : il justifie ainsi le besoin de rechercher une nouvelle solution pour disposer d’une eau de boisson « pure, fraiche et abondante » (p. 43) permettant de répondre aux épidémies de typhoïde de 1877, 1881, 1882 et 1885 (sources polluées) et de typhus de 1879, 1880, 1888, et 1891 (Moselle polluée).
La convention d’alimentation des établissements militaires date de 1900, soit 3 ans après la présentation du projet, 2 ans après le début des travaux mais 6 ans avant la fin : cette demande n’avait certainement pas été anticipée de manière formelle par la municipalité…
Bien qu’importante, si l’augmentation de la présence militaire a dû très certainement jouer sur le besoin croissant en eau de boisson et influencer la décision de réaliser la galerie captante de Hardeval pour alimenter la ville en eau, ce n’est vraisemblablement pas la raison première, celle-ci étant plutôt liée à l’accroissement de la population « civile » avec, majoritairement, l’arrivée d’optants des territoires annexés par l’Allemagne entre 1872 et 1876, puis l’industrialisation du secteur (mines de fer, etc.) et l’augmentation de population d’une ville qui prospère. Cette prospérité conduira notamment à l’organisation de l’Exposition internationale de l’Est de la France à Nancy en 1909 qui accueillit 2 140 372 visiteurs (Parfait & Labrude, p. 24), soit 18,4 visiteurs par habitant ! Georges Hottenger écrivait d’ailleurs en parlant de Nancy en 1913 : « La ville qui grandit, c’est aussi la ville qui se congestionne, par une circulation toujours plus intense, mal assurée par des artères toujours plus insuffisantes. La congestion est une menace pour la santé. Il y a bien pire encore. Il y a cette population nouvelle, population en très grande partie composée de pauvres gens, qui s’amasse et s’entasse dans les anciens quartiers, sans que nulle part ne s’élèvent d’habitations qui lui soient spécialement destinées. », preuve supplémentaire de l’importance des migrants dans l’augmentation de la population nancéienne...
Bibliographie
- 1890. Plan du territoire et de la ville de Nancy. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. https://archives.meurthe-et-moselle.fr/sites/default/files/Contenu/Fichier/Archives_En_Ligne/1_Fi_122.pdf
- 2025 (14 sept.). Listes nominatives de recensement de population. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. https://archivesenligne.archives.cg54.fr/archives-en-ligne/listes-nominatives-de-recensement-de-population
- 2025 (14 sept.). Nancy : évolution démographique. Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Nancy#Évolution_démographique
- Delphine Diaz. 2021. En exil. Les réfugiés en Europe, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. Coll. Folio Histoire no 312. Gallimard.
- Maurice Dumontier (général). 1967. « Les casernements à Nancy avant 1914 ». L’armée à Nancy 1633‑1966. Éd. Berger-Levrault. Nancy. p. 131‑140.
- Pierre Gérard. 1967. « Géographie historique militaire de Nancy (1766‑1914) ». L’armée à Nancy 1633‑1966. Éd. Berger-Levrault. Nancy. p. 72‑80.
- Édouard Imbeaux. 1897. Recherche de nouvelles eaux de sources - Avant-projet de captation des eaux souterraines de la forêt de Haye (partie Sud-Est). Nancy. https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k96179907
- Georges Hottenger. 1913. « Nancy et la question du plan d’extension des villes ». Bulletin de la Société industrielle de l’Est no 106. Société industrielle de l’Est. Nancy. p. 5‑37. https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k5672870d/
- Alain Larcan. 1967. « Le service de santé militaire à Nancy ». L’armée à Nancy 1633‑1966. Éd. Berger-Levrault. Nancy. p. 146‑152.
- Isabelle Parfait & Pierre Labrude. 2001. « La chimie et la pharmacie à l’Exposition internationale de l’Est de la France (Nancy, 1909) ». Revue d’histoire de la pharmacie no 329. Société d’histoire de la pharmacie. Paris. p. 22‑32. https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2001_num_89_329_5180
Union Spéléologique de l’Agglomération Nancéienne