Accueil > Le P’tit Usania > 2009 > 134 - Octobre 2009 > 134.3 - Reconnaissance en Suisse Centrale

134.3 - Reconnaissance en Suisse Centrale

Emmanuel Belut

lundi 9 novembre 2009

Toute proche, la Suisse n’en reste pas moins une terre mystérieuse et légèrement rebutante vue de chez nous, avec ses interdits obscurs et ses douaniers raides comme la justice. En ce qui concerne la descente de canyon, seule la Suisse italienne, le Tessin, possède une réputation internationale justement acquise. La suisse Alémanique, bien plus proche de la Lorraine, n’est quant à elle quasiment pas parcourue par les canyonistes français, en dépit d’un potentiel énorme compte tenu du caractère alpin de son relief, des précipitations abondantes qui l’arrosent, et de la prédominance des

reliefs calcaires. La suisse alémanique est également la Mecque du canyon glaciaire avec par exemple l’extraodinaire Trümmelbach, le collecteur des glaciers de l’Eiger, du Mönch et de le Jungfrau, dans les flancs desquels d’immenses pages de l’alpinisme européen se sont inscrites.Indépendamment du public français, il faut bien reconnaître que le canyonisme en Suisse germanophone est de toute façon une activité extrêmement marginale, des descentes d’ampleur internationale étant encore régulièrement ouvertes, en particuliers dans les Grisons.

(ouverture de Raidenbach en août 2009).

Ayant récemment pris conscience de l’intérêt et de la proximité de cette destination presque inexplorée, l’idée d’effectuer une reconnaissance en Suisse centrale nous travaillait depuis longtemps à l’USAN. Après un certain nombre de sorties préliminaires très alléchantes (Chli Schliere, Hüribach, Kleine Melchaa, Hüribach, Trummelbach, Isenthal...), des recherches plus approfondies nous ont permis d’établir une liste de sites potentiellement intéressants, associée à des cartes topographiques précises suggérant les accès possibles aux canyons.

Et c’est finalement en Juillet de cette année que nous pûmes réaliser notre première semaine d’exploration complète en Suisse. L’expédition était constituée de deux membres de l’USAN, Stéphane Noll et moi-même, et de deux membres des Vulcains, Boris et Anne-Claire Sargos. La météo capricieuse nous a conduit à choisir de partir à la dernière minute, après des préparatifs techniques un peu expédiés. Au jour du départ, suite au vol du perfo Spit au local de l’USAN, nous ne disposons en tout et pour tout que d’un perfo thermique au bord de l’asphyxie, encalcifié jusqu’à l’os à force de trop nombreuses descentes dans les entrailles de la terre. En terme d’amarrages, Anne-Claire est contrainte de passer en dernière minute au magasin expé de Lyon, lequel est malheureusement presque en rupture de stock : c’est avec une vingtaine de spits, autant de goujons, et les plaquettes qui vont avec que l’on démarre la semaine... autant dire presque rien, il faudra espérer que les descentes seront déjà équipées...

Le 12 juillet, nous nous retrouvons au coeur de la nuit à Wolfenschiessen, à proximité du Secklisbach, objectif du lendemain. La nuit est belle, et nous découvrons au matin le paysage verdoyant et alpestre de ce secteur. Les prés épilés au millimètre et les tas de bois d’une perfection anormale le clament haut et fort : nous sommes au coeur de la Suisse.

L’approche du canyon est évidente, le départ se fait sous le petit barrage qui retient un petit lac de réserve. Dès les premiers mètres, la présence d’un bon équipement inox se révèle. La roche est jolie et le débit minimaliste, mais les vasques sont pleines et permettent quelques sauts dans une eau bleue. Au terme d’environ deux heures de descente sans trop de surprises, nous classons le Secklisbach parmi les canyons d’initiation agréables et sans prétentions. L’après-midi, nous ne poussons pas plus loin la reconnaissance car il faut profiter du reste de la journée de samedi pour faire réviser le perfo car il refuse catégoriquement de démarrer. Heureusement la Suisse est le pays où l’on trouve le plus de garages pour matériel agricole au kilomètre carré, et nous nous arrêtons au premier que nous croisons sur la route du canton de Schwyz, notre prochain objectif. Las, le garagiste est débordé par les commandes et après avoir rapidement diagnostiqué que la bougie était OK, nous devons repartir. Même problème au garage suivant qui s’apprêtait à fermer pour le week-end. Nous devons finalement renoncer à employer le perfo, au moins jusqu’à lundi.

Sur la route de Schwyz, nous faisons alors halte au bord du magnifique lac des quatres cantons, pour jeter un oeil au Cholbach, un collecteur du secteur qui a formé un canyon se jettant dans le lac. Le débit est par trop conséquent pour tenter une descente, mais tout le monde est très motivé pour revenir à l’automne, quand le gel d’altitude entraînera l’étiage du cours d’eau. Nous poursuivons donc notre route pour le canton de Schwyz, terre des exploits mythiques de Guillaume Tell. Nous gagnons notre lieu de bivouac en amont du canyon d’Hüribach, en repérant au passage les cascades de Bettbach et Stoosbach qui sont prévues pour les jours suivants. Le lendemain, dimanche, étant donné l’impossibilité de réparer le perforateur, nous décidons de descendre dans un premier temps Bettbach, qui nous est apparu depuis la route comme une succession très courte de deux cascades, une de 30m, suivie d’une autre qui en paraît 70. Parfait pour une petite descente rapide en attendant de réparer le perfo lundi ! Après trente minutes de marche d’approche, nous descendons dans le lit du ruisseau, qui s’encaisse tout de suite, assez joliment. Le premier ressaut n’étant pas équipé, nous le désescaladons sans trop de mal. Le ressaut suivant, un toboggan de 3m n’est pas équipé non plus. Boris m’assure sur corps mort et je descends pour voir plus loin : je tombe sur un autre ressaut de 5m non équipé. Je suis partant pour spiter au tamponnoir immédiatement mais après consultation générale, compte tenu du nombre de spits dont nous disposons et de la hauteur inconnue de la grande cascade, on décide de faire demi tour. Nous repartons donc, un peu dépités, mais sur le chemin du retour Stéphane avise un amarrage sommaire peu visible juste au dessus de la cascade de 30m. Nous installons le rappel et il descend jusqu’au seuil de la cascade où il repère immédiatement deux amarrages doublés : soulagement général, nous ne sommes pas venus pour rien, et nous commençons la descente. Du seuil de la première cascade, un beau toboggan de 30m, nous dominons la vallée d’une manière très aérienne. Les amarrages de la cascade suivante, évaluée "à la louche" à 70m, sont clairement visibles et Stef part en premier chercher le relais suivant, dont la position supposée parait évidente du fait de la conformation de la cascade.

Mais une fois sur place il ne trouve rien et commence à tamponner. Après un temps qui nous semble long il tente de communiquer avec nous mais nous ne comprenons rien avec le fracas de la cascade, et je finis donc par le rejoindre. Une fois sur place je le relaie pour poser le deuxième spit car Stef commence sérieusement à se lasser. L’amarrage terminé, Anne Claire nous rejoint et je descends en tête pour le rappel suivant ; je découvre un amarrage très éloigné de la ligne de descente une vingtaine de mètres plus bas, et j’y installe aussitôt un relais. Anne Claire me rejoint et je poursuis la descente car c’est moi qui ai la trousse à spit. J’arrive non loin du bout de la corde une trentaine de mètres plus bas, et commence à me faire débrayer par le haut, pendant que je cherche vainement un relais. Je siffle “stop” à un moment pour examiner la rive gauche tranquillement mais je ne trouve rien. Lorsque je siffle à nouveau pour repartir, rien ne se passe : après plusieurs tentatives infructueuses, je suppose qu’Anne Claire a déjà débrayé toute la corde, aussi je prends le tamponnoir pour installer un relais là ou je me trouve. Je saurai par la suite qu’en fait ils n’entendaient tout simplement rien. Anne Claire me rejoint alors que je galère pour percer mon deuxième trou, car j’ai bouché la cheville. Une petite intervention improvisée à la pince à épiler me permet de terminer le relais, et les autres peuvent poursuivre la descente : un autre relais est découvert une trentaine de mètres plus bas, et il permet d’achever la descente par un passage en fil d’araignée de soixante mètres. Au final, la deuxième cascade repérée de la route faisait donc 170m et non pas 70, et nous aurons mis 5h à la descendre... sans commentaires !

Le jour suivant, pendant que Boris et Stef vont s’amuser dans Hüribach, Anne-Claire et moi nous nous occupons de la réparation du perfo au garage. Le résultat semble peu concluant : après l’opération, le perfo démarre mais le ralenti est toujours hors service. Nous faisons donc une croix définitive sur le perfo. Le lendemain, une météo épouvantable nous conduit à vider les lieux au plus vite, sans tenter de descendre Stoosbach comme nous l’avions prévu. Nous partons en direction du Walensee, et nous arrêtons au passage pour descendre le Chilentobel, déjà topographié. La météo s’est remise au beau et la descente s’avère extrêmement jolie.

Nous poursuivons jusqu’à Murg, où après une brève reconnaissance de la belle cascade de Murgbach dans son petit encaissement rouge sang, nous nous installons au camping. Sur l’autre rive du lac, nous avisons sans peine l’impressionnante cascade de Seerenbach, du haut de ses 585 mètres, au pied de laquelle jaillit une grosse résurgence à quarante mètres du sol. Le jour suivant nous descendons le Römbach en petite crue suite aux orages du matin. Ce canyon est plutôt décevant, assez sale, glissant et rempli d’embâcles.

Nous enchaînons le lendemain avec Fallenbach, canyon injustement réputé que nous classons impitoyablement dans le série des "bouses" : il est sale, glissant, rempli de déchets et d’embâcles, discontinu, et s’achève dans un lac de barrage boueux qu’il faut traverser à la nage... La journée de jeudi se termine, et le vendredi la météo se dégrade définitivement, après une semaine finalement assez mitigée. Nous préférons interrompre le périple et regagner nos pénates, en prenant le chemin des écoliers : nous effectuons un crochet par l’Oberland Bernois, dont le potentiel en terme de descentes hivernales nous attire au plus haut point. Nous visitons dans un premier temps les gorges aménagées du canyon glaciaire de Rosenlaui : le débit est apocalyptique et le site magnifique. Nous repérons des amarrages judicieusement placés pour résister aux flots tumultueux de l’été, et nous décidons d’un commun accord de revenir le descendre au mois de novembre.

La halte suivante est Lauterbrunnen, au pied de l’Eiger, pour voir l’inénarrable Trümmelbach en conditons estivales : jusqu’à présent nous ne le connaissons qu’en glace et à l’étiage le plus complet, mais aujourd’hui le débit est de 20m3/s. Le spectacle est bien plus impressionnant que ce à quoi nous nous attendions, et les mots sont impropres à décrire l’effroyable beauté meurtrière du flot gris hurlant dans l’abîme.

Et c’est sur ces images sublimes que nous regagnons la verte Lorraine, en se jurant de revenir en Suisse un peu mieux équipés...

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)