Week-end du 9 au 11 mars 2012, gouffre Jean-Bernard (Samoëns, 74), escalade du Lavoir
Participants : Lucile Delacourt et David Parrot (USAN), Éric Révolle et Stéphane Lips (G.S. Vulcain)
Malgré une motivation plus que faible pour moi à cause de la fatigue accumulée depuis plusieurs semaines, nous achetons et préparons tout le matériel dans la semaine. David et Éric sont à bloc et je ne veux pas faire foirer la sortie. Je me donne donc un bon coup de pied au cul et nous nous retrouvons tous au chalet vendredi soir (minuit pour Éric et moi et 4 heures du matin pour Lucile et David). Nous nous payons une bonne grasse matinée, mangeons, faisons la marche d’approche et nous nous changeons sous un soleil radieux. Nous rentrons sous terre à 16 heures, le but étant de nous décaler par rapport à une éventuelle fonte des neiges due au soleil.
La progression dans le J.-B. est tranquille et nous faisons la traditionnelle pause bouffe dans la galerie des Aiguilles avant de nous diriger vers le Lavoir. En passant, je m’acharne un peu sur l’étroiture au sommet du puits du Raccourci : je pense que la section de passage a été multipliée par trois, donc il n’y a plus de raison d’en chier à cet endroit là ! Nous nous séparons en deux équipes : David et moi filons au sommet du Lavoir pour continuer l’escalade tandis que Lucile et Éric sécurisent et changent les cordes tonchées dans les puits arrosés.
Avec David, nous arrivons rapidement en haut malgré de lourdes charges. David attaque l’escalade en premier et plante une dizaine de goujons. Je le relaye et arrive à sortir l’escalade après une autre dizaine de goujons. Ce puits doit faire dans les 20 à 25 mètres de haut. Je sécurise la corde, et vais voir la gueule de la suite. La rivière arrive par une nouvelle cascade de 7 à 8 mètres de haut... Y en a marre des escalades !!! Attaquer la cascade directement est difficile car la paroi est en dévers, mais il doit être possible de passer par les plafonds, en forme de méandre. La forme même du méandre attire mon regard. Il traverse le puits que l’on vient d’escalader... Serait-il possible qu’il puisse continuer vers l’aval, en devenant fossile ? David me rejoint rapidement et nous vérifions l’hypothèse : une banquette permet de traverser le puits facilement, le méandre continue bel et bien. Il fait 1,2 m de large, 4 m de haut et... 10 m de long. Au bout, s’ouvre un puits, un grand puits. Nous jetons un caillou : il met 4 secondes à toucher le fond, sans rebond... On se rapproche un peu : c’est un magnifique puits, a priori fossile, qui doit faire au moins 60 m de profondeur : serait-ce la voie du Lavoir fossile ? On y croit en tout cas ! En faisant le tour de la zone, nous trouvons de belles ammonites qui confirment que l’on a bien atteint la couche de l’Albien. Au sommet du P60, une galerie fossile de 2 mètres de diamètre part vers l’inconnu... David veut y jeter un coup d’œil, mais je le convaincs que la priorité est de trouver un accès fossile au Lavoir. Le bas du puits des deux Bœufs est 160 mètres plus bas, il y a du boulot pour l’équipement ! David plante les goujons et descend en premier. Le puits est magnifique : parfaitement circulaire, il doit faire dans les 10 mètres de diamètre. Deux goujons au plafond, et on se retrouve sur le fil d’araignée au milieu du vide pendant toute la descente. À mi-puits environ, un énorme puits parallèle semble partir. Plusieurs départs de méandre seraient aussi à voir. Un passage de nœud et quelques dizaines de mètres plus bas, on arrive dans un joli méandre descendant. David équipe un petit ressaut de 5 mètres et arrive au sommet d’un nouveau puits dont l’écho nous semble familier. Nous sondons le puits : il doit faire dans les 80 mères de profondeur... Nous nous regardons : ce n’est pas avec nos 2 x 20 m de cordes que nous arriverons à le descendre ! Nous prenons la décision de retourner déséquiper une partie des puits du Lavoir et de rééquiper ce puits fossile : il y a toutes les chances pour que ce soit le puits des deux Bœufs. De plus, cela nous permettra de voir ce que font Lucile et Éric, qui ne nous ont toujours pas rejoints. Nous remontons donc le P5 et le P60 et redescendons les 100 mètres du Lavoir. Je retrouve Lucile et Éric sur la dernière margelle en bas des puits arrosés : ils ont fait le rééquipement, mais Lucile a eu froid et a passé quelques heures sous un point chaud de fortune. Ils sont sur le chemin du retour. Je récupère quelques rataillons (N.D.L.R. : rataillon, mot d’origine provençale signifiant petit bout ou reste) de cordes, les abandonne à leur propre sort et remonte en tendant les cordes derrière moi : pour moi c’est clair, David et moi ne repasserons pas par là ! Je déséquipe la corde au sommet du P30 ainsi que la corde mise dans la dernière escalade que nous venons de faire : ce sera vite rééquipé une prochaine fois. Pendant ce temps, David a récupéré pas mal de plaquettes que nous avions laissées pour l’escalade. C’est donc bien chargés de corde que nous redescendons une nouvelle fois ce magnifique P60. Au sommet du P80, David entend et voit Lucile et Éric passer en-dessous : c’est donc bien le puits des deux Bœufs ! Nous manquons de goujons et commençons à accuser le coup de la sortie et des allers-retours dans les puits. Nous équipons donc au plus court : deux goujons en tête de puits, une déviation deux mètres en-dessous et c’est parti plein gaz !!! Le puits est magnifique. Avec ces grands puits, le J.-B. prend une autre dimension. Il faudra penser à amener le bloqueur de pied la prochaine fois ! Deux nœuds et 80 m plus bas, nous nous retrouvons bien à la base des cordes du puits des deux Bœufs. Mission accomplie, le sommet du Lavoir devrait donc être accessible toute l’année, à 1h30 de l’entrée du V11. Il n’y a plus qu’à revenir quand on veut pour faire la topo et l’explo des différentes galeries entrevues. Mais pour l’instant, c’est l’heure de sortir ! Nous rattrapons Lucile et Éric au niveau de la galerie de l’Erreur et ressortons tous ensemble à 9h30 du matin. Au moins, il fait jour ! Une petite sieste au chalet et tout le monde rentre dans son chez-soi, plus ou moins loin selon les personnes. T.P.S.T. : 17h30
Cette sortie permet de tourner la page d’une partie de l’histoire du Lavoir ! Les premiers spits ont été plantés en 1977 à la main et en néoprène. De nouvelles campagnes en 1979 et 1984 ont permis d’atteindre la base du P20, mais la hauteur du puits a découragé les rares courageux. Il faut attendre 2005 pour que Xa et moi revisitions la zone et décidions de continuer l’escalade, au perforateur bien sûr. Depuis, pas mal de monde a mouillé sa sous-combinaison dans ces puits : au final, ce sont 80 mètres supplémentaires qui ont été remontés dans les embruns des cascades, parfois plusieurs fois à cause des cordes coupées par les crues. Aujourd’hui, 160 m plus haut et 35 ans après les premiers coups de tamponnoir, nous avons enfin un accès fossile à l’étage sur lequel coule le collecteur.
Un grand merci à David et Éric pour m’avoir motivé pour ce week-end. Un grand merci et un grand bravo à Lucile qui a explosé son T.P.S.T. et son T.P.A.G. au cours de cette sortie, tout en gardant le sourire (T.P.A.G. : temps passé à grelotter). Et surtout un grand bravo à tous ceux qui ont osé mettre les pieds dans la zone du Lavoir, en 2012 et avant. J’essayerai de faire le point, mais la liste est longue ! Plus que tout, ces escalades sont une œuvre collective remarquable. Comme quoi, même dans un milieu hostile et engagé, tout est possible !
Pour l’instant, le mystère de l’eau reste entier, mais une étape vient d’être franchie. S’il faudra probablement attendre l’hiver prochain pour suivre le collecteur en lui-même, les puits du Lavoir fossile devraient permettre de faire quelques jolies sorties d’exploration dès cet été (voire avant) ! Espérons que la montagne nous laisse savourer un peu de première avant de mettre de nouveaux obstacles (presque) insurmontables devant nous.