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193.4 - Jungle-Aui
Emmanuel BELUT Photos : Matthias Holzinger
mardi 2 septembre 2014
Prologue
Au commencement il y avait une immense face nord, plongeant dans les eaux miroitantes du lac du Klöntal (Suisse). Le regard ébloui du canyoniste la scrutait inlassablement, parcourant du regard ses ravines, où se devinaient quelques nouveaux canyons à explorer. Lijis, Tristli, Dunggellaui, Bärentritt, Darli, autant de noms, autant d’accès à pied d’apparence impossible, et le canyoniste se plaisait à imaginer toutes sortes de possibilités pour rejoindre ces descentes convoitées. Contourner telle ou telle barre rocheuse, tirer des rappels depuis les sommets gravis par l’autre versant, se faire déposer en hélicoptère...
Puis le canyoniste repartait chez lui, ces idées sagement rangées dans le dossier « projets aléatoires pour jours de disette ». Et puis vinrent ces quelques mots sur le forum de descente de canyon : « the Dunggellaui canyon is now finally equipped. It is a really nice abseilling canyon. My rating for the canyon is 3.2/4. The access is not easy. There are climbing passages up to 4a without belaying ». Il n’en fallut pas plus pour faire sortir le projet de son dossier, et motiver une joyeuse bande de canyonistes en manque d’exploration. Ils étaient 5, bien équipés, bien préparés et pas plus incompétents que la moyenne. Ils possédaient des cordes, deux perforateurs, des amarrages en quantités, des combinaisons néoprènes, et tout l’attirail nécessaire. Par un beau jour de juillet, ils installèrent leur camp de base au camping du lac du Klöntal. Et enfin, le soleil se leva sur le jour de l’exploration.
Le soleil brillait, les oiseaux gazouillaient gaiement dans la forêt, et le lac clapotait doucement sur les berges. Chacun prit soin de prendre son matériel personnel et une corde, et on se munit d’un perforateur dans le cas improbable où l’équipement pourtant récent serait abimé. On prit également la trousse à spits en cas de défaillance des batteries. Et puis les kits bien chargés mais le moral au beau fixe, la petite troupe s’engagea sur le paisible chemin du tour du lac, jusqu’à rejoindre l’arrivée du canyon, au pied d’une impressionnante falaise. Et c’est alors que les aventures commencèrent.
L’exploration
« Just before the canyon begins, start to climb the steep and grassy slope on RD. The best thing is to follow animal tracks », disait la description. D’accord il y a bien une escalade possible rive droite, un bon 6b-terre visiblement emprunté par les animaux, mais curieusement cela ne tente personne. On tergiverse, on ausculte la pente, et puis on décide de continuer un peu vers l’est pour escalader plus loin. Effectivement
« At altitude 1050m, you reach a rock face where hardly visible goes a thin steel cable. Use the steel cable to get over. Be carefull as it is really exposed ». Effectivement voici un ressaut avec un câble d’acier à escalader, et oui, c’est plutôt exposé, car le ravin est maintenant tout proche. Mais cela n’est finalement pas plus hostile que le reste et au moins une assurance est facile à mettre en place. Et puis le câble disparait rapidement, alors que le terrain devient de plus en plus scabreux. « From there you can see a sling around a tree to get into the canyon. But this is just for the lower part ». Pas de sling en vue, mais sling ou pas sling on va arrêter les frais et se limiter à la « lower part », et d’ailleurs cet arbre là-bas semble judicieusement placé pour descendre en rappel au fond du ravin, à condition de pouvoir l’atteindre, car il faut franchir une cinquantaine de mètres fortement exposés. C’est toujours le même sous-bois en pente glissante, sauf qu’après une trentaine de mètres, voici la berge du ravin, plutôt dissuasive... Qu’à cela ne tienne, on entreprend de tirer une belle main-courante d’arbre en arbre, et par commodité, on pose négligemment un sac derrière un arbre. Ah mais tiens, voilà que le sac glisse, d’abord doucement, dans la pente, puis de plus en plus vite. Ce n’est pas vraiment l’endroit pour courir après, et le sac disparait donc dans le ravin. Mais qu’y avait-il donc dans ce sac ? Eh bien à part le perforateur et une combinaison néoprène, rien de bien important. D’ailleurs on n’a pas entendu de bruit de chute, le sac a dû s’arrêter un peu plus bas et on va pouvoir le récupérer. Sauf que subitement... le vacarme d’une chute résonne dans les abysses. Eh bien dis-donc c’était haut en fait. Comment ?
Sans anicroches, tout le monde descend en rappel au fond d’un joli encaissement minéral parcouru par une eau glaciale. Tout va bien, le premier amarrage est intact, et chacun entreprend de s’équiper pour la descente. Eh puis un cri... « Zut, j’ai oublié mon haut de combi ! ». Pas de panique, voici donc 4 personnes pour 2,5 combinaisons, l’équipement idéal pour descendre ce canyon alimenté par le joli névé que l’on voit là-haut. Soudée dans l’adversité, la fine équipe se compose donc de 3 gars en demi-combinaison, et d’une gente demoiselle en combi complète. La galanterie aura donc survécu à la crise ! Il faut dire que la combi lui appartenait et qu’il y avait comme une incompatibilité de taille...
Froidement mais gaillardement, un premier rappel de
Vu les circonstances, personne n’en rajoute, et l’on reprend l’exploration des lieux. Donc pour résumer les parois sont lisses, il n’y a point de fissure, ni de bloc coincé et pas de marteau : bref c’est la misère. Seule solution, mettre un maillon au bout de la corde du rappel précédent, que l’on abandonnera, et descendre en rappel depuis cet amarrage de fortune. Ouaaaahhhh en demi-combi,
Bilan de l’opération : 2 h 30 d’approche foireuse, un perforateur de perdu en compagnie d’une corde de
Intacte et bien rafraichie, notre fine équipe en sera finalement quitte pour quelques entailles à sa dignité et à son portefeuille.