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277.3 - Collecteur du Verneau par la Baume des Crêtes

Olivier Gradot

samedi 9 octobre 2021, par Bertrand Maujean

Début mai 2021, le déconfinement 3.0 approche. Après 5 week-ends consécutifs à travailler au local nous avons hâte que la limite des 10 km soit levée pour retourner sous terre et nous réfléchissons donc à une sortie pour le week-end des 8 et 9 mai.

La première idée retenue est d’aller dans le collecteur du Verneau via les Biefs, de passer le siphon des Patafoins et ensuite d’aller voir la galerie des Titans. La météo pluvieuse de la semaine rendra impossible cette sortie : en effet, même si une grande partie du collecteur devrait être praticable, le tube en U par lequel nous serons obligés de passer siphonnera. Du coup partie remise pour la galerie des Titans. Le plan B que propose Théo est d’aller rejoindre les fonds les plus éloignés du gouffre de Vauvougier pour tenter de continuer, l’escalade du puits de l’Espoir au-delà de là où les derniers explorateurs s’étaient arrêtés. Théo part sur une sortie de 20 h mais je le connais et quand il dit ça c’est plus du 25 h… Le jeudi avant le week-end je me lève avec le dos en vrac à la suite de quelques journées passées dans des positions pas optimales au travail et je dis à Théo qu’en l’état je ne suis pas chaud-bouillant pour trimballer des kits dans les méandres de Vauvougier. Finalement comme la météo du week-end est prévue bien ensoleillée, nous nous accordons pour une session Verneau via la Baume des Crêtes pour aller jusqu’au siphon menant vers le gouffre de Jérusalem et comme il serait idiot de profiter du beau temps nous passerons la nuit sous terre et ressortirons le dimanche en fin de matinée.

(Finalement, mais nous ne le saurons que plus tard, nous avons ainsi évité de tomber sur le secours au gouffre de Vauvougier, opération qui aurait été en pleine séance de désobstruction à l’heure planifiée pour notre retour. J’en profite pour saluer ici le travail énorme abattu par les équipes de secours pour ramener la victime à la surface, bravo et bon rétablissement à la victime.)

Samedi 8 mai, Théo et moi avons passé le vendredi soir et la nuit au local, nous préparons le matériel spéléo et les combis néoprène en attendant Thomas qui nous rejoint vers 6 h 30, couvre-feu oblige. On fait un dernier contrôle du matériel et des vivres, on charge son camion et à 7 h 30 nous partons en direction du Doubs sous un beau soleil. Nous faisons une pause sandwich près de Besançon et arrivons sur les hauteurs de Déservillers peu avant 11 h. Nous nous garons sur le bord du champ où se trouve l’entrée du gouffre et profitons du luxe inouï de nous équiper au chaud et au soleil, ça change des ‑10° C de janvier dernier. Une fois prêts nous entamons notre descente, je me charge de l’équipement. Arrivés à la salle du Réveillon où nous bivouaquerons nous laissons nos kits de vivres et de couchage ce qui nous déleste bien. Nous continuons notre parcours et arrivons rapidement à la salle du Carrefour où nous enfilons nos néoprènes, Théo (qui comme d’habitude a besoin de se faire remarquer) nous montre sa toute nouvelle combi néoprène de chasse sous-marine qui est munie d’un accessoire certes d’une grande utilité mais d’un visuel particulièrement louche : une « poche à bite » qui dépasse de sa combinaison tel le dard d’un frelon et qui lui permet de ne pas avoir à enlever sa combinaison pour uriner. Heureusement une fois les deux pièces de la combinaison mises, l’accessoire étrange n’est plus visible. En tout cas nous en rigolons bien et je ne sais pas encore que je serais jaloux de lui plus tard car comme nous l’avons déjà décrit dans les numéros précédents du P’tit Usania : pisser dans sa combi néoprène est une mauvaise idée et encore plus si l’on compte bivouaquer sous terre ensuite !

Nos tenues enfilées nous enquillons sur la galerie des Chinois, ça fait du bien de se remettre à l’eau, ça nous avait manqué ! Nous sommes tous de superbe humeur et avançons bien tout en rigolant du flot ininterrompu de conneries et boutades qui sortent de nos bouches. Quelques voûtes mouillantes et ressauts plus tard nous voici en haut du collecteur : ô surprise ! Le niveau d’eau n’est pas aussi haut que nous le pensions dans la zone de décantation avant le siphon aval, on va avoir pied sur une bonne partie de la zone nous séparant de la première petite cascade… Zut, et moi qui avait rapporté ma bouée !

Nous rejoignons le collecteur et d’entrée c’est du beau paysage avec la grande cascade qui s’écoule juste à côté de nous. Nous partageons un Twix et partons en direction de la zone amont. Les crues de la semaine sont passées, mais le niveau d’eau est loin de l’étiage et nous profitons d’une belle ambiance aquatique durant notre parcours. Le passage des cascades qui est équipé en fixe est toujours aussi splendide. Aux deux cascades suivantes c’est Théo qui se colle à l’escalade (que j’aurais perso fait assurer, mais bon il avait l’air sûr de lui...) et nous installe une cordelette 5 mm pour assurer notre montée, ça crache bien : l’ambiance est très canyon. Thomas craquera : le bruit de l’eau vive aura eu raison de sa capacité à se retenir et devra s’infliger le plaisir d’enlever et remettre sa néoprène pour pouvoir uriner.

Nous arrivons ensuite à la superbe salle du Sinaï dans laquelle nous montons pour profiter du confort des grandes dalles pour nous faire une pause Balisto. La fin du parcours dans le collecteur est d’une autre ambiance, le bruit de l’eau est plus calme, les plafonds sont bien moins hauts qu’avant et il n’y a plus de cascades, c’est de la promenade. Nous arrivons au siphon, on en profite pour se faire une photo de groupe avec le téléphone portable de Théo qui s’est d’ailleurs chargé de photographier l’ensemble de notre parcours (honnêtement la qualité des photos que l’on peut prendre avec certains téléphones sous terre m’impressionne). Notre ami spéléo-photographe Yann Gardère m’avait déjà surpris de ses résultats, mais jusqu’à il y a peu de temps nous étions frileux de les emmener sous terre… La sortie au JB m’aura finalement convaincu, j’ai été très satisfait des photos prises avec mon téléphone, sous réserve d’être un peu soigneux les téléphones actuels sont compatibles avec la spéléo et ne craignent pas un peu d’eau. Nous allons ensuite jeter un coup d’œil dans la galerie quasi-fossile toute proche qui remonte un peu, c’est fou comme l’ambiance y change, plus de bruit d’eau, c’est quasi sec et la galerie fait penser à certaines cavités d’Ardèche, une escalade réalisée dans le passé dans l’une des cheminées de la galerie avait mis en évidence la présence de moustiques sans toutefois faire jonction avec la surface. Nous remarquons aussi la présence de guano au sol, de toute évidence les chauves-souris ne passent pas par le collecteur pour arriver là. Il y a certainement quelque chose qui mène vers la surface depuis cette galerie. Si un jour le passage est ouvert aux spéléologues cela fera sans aucun doute une superbe possibilité de traversée.

Arrivée à notre objectif nous faisons demi-tour, le cheminement dans le collecteur nous semble bien plus rapide qu’à l’aller, nous descendons les deux cascades en rappel, repassons par celle équipée en fixe. Thomas, surexcité, passe tous les bassins profonds en se jetant littéralement dedans comme un gamin ferait la bombe et fait de la brasse même quand il a pied, il semble très satisfait de l’aspect aquatique de la sortie. Rapidement nous voilà de retour au puits menant à la galerie des Chinois. Le niveau de l’eau a encore baissé depuis notre arrivée dans le collecteur. Avant de remonter nous nous amusons un peu avec notre bouée et prenons des photos de nous assis dedans tels des stars dans leur piscine privée.

Je remonte en premier, pendant ce temps Théo et Thomas vont jeter un œil vers la zone du siphon aval (jonction Biefs Boussets) et Thomas comprendra que nous ne mentions pas en disant que cette zone est bien boueuse.

La remontée dans les Chinois se fait rapidement, de retour à la salle du Carrefour nous enlevons nos néoprènes et je peux enfin uriner après bien 3 h à me retenir : ouf ! Théo lui n’a pas eu ce problème, son accessoire pipi n’est certes pas super design mais il est tout de même bien pratique.

Trois quarts d’heures plus tard nous voici de retour à la salle du réveillon, il est presque 22 h et nous avons faim ! On enlève nos combinaisons mouillées et les étendons sur une corde pour qu’elles sèchent durant la nuit, on enfile nos chasubles, je bénis mes amis de me prêter une paire de chaussettes sèches (ne jamais oublier ça en bivouac), nous nous asseyons sur des blocs de roche autour de la table en pierre et allumons nos bougies grosses mèches « maison » pour nous réchauffer avant de trinquer et nous faire plaisir avec des chips, de l’emmental et du saucisson coupé en tranches épaisses. On se met un peu de musique (luxe aussi possible quand on a son téléphone sur soi) et nous passons notre soirée à rigoler en nous racontant des conneries. Vers 3 h du matin nous décidons qu’il est temps de nous coucher, Thomas se cache dans son duvet jaune à oreilles qui lui donne un look Télétubbies, Théo se fabrique une cabane avec matelas en corde, housse de matelas en couverture de survie et toiture ossature corde et tuilage en bâche : il a l’air particulièrement content de son refuge improvisé ! Moi je ne m’emmerde pas : je m’installe sur ma bâche et mon matelas gonflable et une fois dans mon cocon chaud je m’endors rapidement en pestant sur mon satané oreiller gonflable (enfin surtout gonflant) qui ne fait que se barrer quand je mets ma tête dessus (l’option oreiller « scratchable » sur le matelas n’est pas inutile du tout avec du recul).

Dans la nuit je suis réveillé par un bruit de « pluie de pierres » qui vient de la grande salle d’entrée, j’essaye de réveiller les autres mais ils ne réagissent pas. Deux nouvelles « pluies de pierres » encore plus impressionnantes se font entendre puis le silence est de retour. Il n’aurait pas fallu se trouver sous ces dernières… Ici sous la grosse dalle de la salle du Réveillon nous sommes bien à l’abri mais je note qu’il faut bien choisir ses endroits de bivouac. Décidément les chutes de pierres me suivent, entre le rocher sur le pied à la Sonnette en automne dernier et le gros bloc qui s’est détaché du puits aux Ordons en février…

Il est 10 h du matin quand je me réveille, je fais chauffer de l’eau et réveille les autres. On se réunit autour du réchaud tels des scouts autour d’un feu de camp et Théo ramène le Grall, alias la grosse brioche au chocolat qui nous faisait déjà envie hier soir. Je me prépare mon café et m’apprête à savourer ma première gorgée… que je regrette vite… sur le coup je pense avoir réchauffé l’eau savonneuse que Théo utilise pour faciliter son habillage en néoprène mais non, c’est bien l’eau de notre bidon… au final je me rappelle avoir laissé mon gobelet pliable en silicone tremper quelques heures dans de l’eau avec du Paic Citron pour le laver après les derniers bivouacs… c’était une mauvaise idée… Thomas n’aimant pas le sucré s’envoie trois Yum-Yums dès le réveil pour ses AJR en E divers et variés. Théo et moi, après avoir fini la brioche, finissons le pain et le pot de rillettes (c’est plutôt hardcore comme petit déj), Thomas refuse de manger des rillettes avec nous (pas assez de E à son goût... vraiment aucun goût culinaire ce type... déjà qu’il n’aime pas les tacos « trois animaux » !?!). Je raconte l’histoire de la chute de pierres : Théo n’a rien entendu mais Thomas confirme la chose. Théo que rien n’impressionne jamais, dira (d’un air qu’est ce que ça peut me foutre tes histoires de pierres) : « Pas étonnant dans une salle d’effondrement »… N’empêche qu’il ne faut pas être au mauvais endroit au mauvais moment…

Gavés comme des oies nous enkitons toutes nos affaires et remontons, je déséquipe le puits d’entrée, dehors c’est gros soleil : cool ! On se change rapidement car il est déjà 14h ! En reconnectant nos téléphones nous apprenons avec surprise qu’un secours est en cours à Vauvougier derrière l’étroiture et on se dit que le passage de cette dernière pour la civière va nécessiter un sacré boulot, une page se tourne pour ce gouffre qui va perdre un passage qui lui donnait du charme mais c’est pour la bonne cause… en tout cas, comme nous connaissons bien le trou, nous savons que la victime n’est pas encore dehors...

Comme nous sommes juste à côté, on décide d’aller voir l’entrée du gouffre de Jérusalem, le ruisseau du Verneau qui s’y jette est faiblement actif. Tout à coup Théo remarque un truc qui bouge dans les falaises et qui se rapproche de nous. Au début je pense que c’est un gros chat sauvage mais quand l’animal est plus proche je reconnais un lynx ! Waouh ! Après s’être approché et nous avoir fixé droit dans les yeux l’animal s’enfuit dans la forêt, belle cerise sur le gâteau pour finir ce week-end ! Contents de cette belle rencontre nous rentrons vers Nancy où nous lavons le matériel avant de nous séparer. Pour une reprise, c’était une sympathique sortie, vivement les prochaines !

Photos sur : https://www.flickr.com/photos/olivier_gradot/albums/72157719245270850

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