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290.1 - Explorations à Vauvougier - Acte 7 : « Escalades, pailles et queutage »

Olivier Gradot

mardi 4 octobre 2022, par Bertrand Maujean

Samedi 4 juin 2022, Théo nous avait vendu un week-end canyon en Suisse, en camping de compét’ avec piscine, hammam, pizzeria de luxe… Le tout sous le mot d’ordre « se faire plaisir »… On aurait dû sentir l’anguille sous roche, le plan B foireux… Résultat, comme d’habitude la météo chamboule le plan « se faire plaisir » et on se retrouve Pascal, lui et moi à 7 h 30 du matin pour charger des kits blindés afin de continuer les explorations à Vauvougier… (ça me manquait je n’y étais que trois jours de suite la semaine dernière lors du stage régional, à la différence que lors du stage j’étais resté dans les zones propres).

Théo et moi avons dormi là. Par chance, ou par miracle, nous n’avons pas la tête en vrac, enfin déjà moins qu’avant-hier matin au lendemain de la « réunion mensuelle du club » (expression mensongère décrivant le soir du mois où Théo et moi réussissons systématiquement à nous la coller puis à nous engueuler sur des sujets aussi sensibles qu’un joint de strate au Fond de la Souche).

Une fois notre matériel et nos vivres chargés nous décollons sous le soleil en direction de Malbrans, la dernière fois j’avais eu droit à du rock progressif sympa, mais là, pour le coup, j’ai le droit à des chansons « vocodées » qui font frémir les donzelles de la génération 2015… mes tympans saignent.

Nous sommes presque à Montrond quand soudain les yeux de Pascal s’écarquillent devant une scène macabre qui semble lui foutre la « gaule » sévère : un cadavre de serpent écrasé est étalé sur la route et ses tripes sortent de sa dépouille. Pascalou s’arrête net, sort de la voiture et regarde de près l’objet de ses lugubres désirs de fan de taxidermie. Il n’y a pas une demi-heure de ça il se vantait de son dernier achat sur Le Bon Coin : une tête de chevreuil… et nous racontait aussi avec fierté avoir encadré une grenouille qu’il avait trouvé aplatie et desséchée sur une route… La déco du gars fait rêver ! Il devrait postuler chez Damidot, je suis sûr que ça ferait fureur. Bon, en tout cas, on est tous les trois debout comme des cons autour de ce putain de serpent qui pue la mort… Des voitures passent et ralentissent comme si elles étaient témoins d’une scène d’accident… C’est limite si on nous demande s’il faut appeler le Samu et tenter de faire du bouche à bouche au reptile moribond. Pascalou nous regarde avec des yeux qui implorent un : « dites… je peux ??? », mais ni Théo ni moi n’envisageons sérieusement l’idée d’un trajet retour avec la bestiole qui d’ici là aura pourri encore plus sous l’action de la cuisson induite par deux jours de stockage dans une voiture aux fenêtres fermées… Avec tact nous proposons l’idée d’accrocher la dépouille à une branche pour qu’elle sèche et de la récupérer lundi sur le retour. La ruse marchera, nous sommes sauvés... du moins jusqu’à lundi.

Nous arrivons enfin à destination vers 12 h. On s’équipe sous le cagnard en bonne humeur puis partons vers l’entrée du gouffre en passant par les bois car l’accès par le champ ne doit plus être utilisé. Il est 12 h 30 quand l’équipe se lance sous terre. Nous avançons à bon rythme… enfin ça dépend de quel rythme on parle… Pour ce qui est du rythme de la progression il est bon, le Lynx équipe et trimballe « l’âne mort » (comprenez THE KIT, avec à l’intérieur l’intégralité du rayon escalade artif. de chez Leroy Merlin) et Pascal et moi on suit derrière, ça avance bien. Concernant l’autre rythme, c’est-à-dire celui des chansons de merde que Pascal et Théo chantent avec leur voix horrible depuis notre départ de Nancy, eh bien perso je le trouve pourri ! J’hésite par moment à sortir mes bouchons d’oreilles pour m’extraire de la torture auditive qui m’est imposée (Baby Shark ça vous cause ?).

On arrive en haut du puits du bivouac pour les 15 h 30, on y laisse les affaires qui ne nous serviront pas pour les travaux de la journée et on se dirige vers le carrefour AGA - Cracs Badaboums (voir Acte 4 dans LPU 286). Dans l’espoir de garder nos bloqueurs propres nous les mettons en kit avant de passer l’étroiture qui ouvre l’accès au réseau (l’espoir fait vivre…). Une fois cette dernière passée nous notons que très peu d’eau s’écoule dans la salle par rapport à nos dernières venues ici. La petite vasque est encore en eau, Théo y note la présence de Niphargus, chouette ! Nous n’en avions pas encore vu à Vauvougier, une nouvelle station est donc découverte ! Nous n’avons malheureusement pas de quoi faire un prélèvement correct (ce n’est pas le rhum qui manque au bivouac, mais il faut de l’éthanol pur pour correctement conserver l’ADN) mais nous ne manquerons pas de faire ça lors d’une prochaine session. Nous enquillons le puits du Coyote et le puits du Rat et arrivons vite dans le passage merdique (que nous appellerons sûrement l’« Anus » ou le « P’tit colon » sur une prochaine topo) qui mène à la salle du Cadavre Exquis. En 5 mètres on est dégueulasse… Ça, c’est fait !… Mais je sais que tout est relatif… On peut l’être encore plus... J’arrive sur la main-courante qui a été équipée lors de l’acte 6 des explorations (auquel faute d’avoir une épaule gauche valide je n’ai pas participé) pour que l’accès à la base du puits du Lynx se fasse sans risque de chute de pierres en provenance de la grande pente ébouleuse. J’essaye de faire la mini escalade, mais couvert de boue je glisse de partout… Je me ferai donc aider pour passer ce passage que j’ai qualifié de merdique en pestant comme je sais le faire quand un passage ne me plaît pas. Une fois en bas du puits du Lynx ça va mieux, on retrouve une zone plus propre. Je découvre les nombreuses cordes qui ont été installées lors de la dernière session afin d’explorer les différents départs qui ont été découverts par l’équipe. À noter que tous ont malheureusement « queuté » (terme de spéléos lorrains pour dire qu’un passage s’arrête sur rien ou devient impénétrable) et que pour Théo l’objectif du jour est de faire des tirs au niveau de l’arrivée d’eau qui se situe au plafond afin de voir si un passage s’ouvre derrière.

Théo revêt sa « skin » (comprenez son matériel) « escalade + équipement + désobstruction » et monte vers l’arrivée d’eau. Pascal et moi montons vers la base du superbe puits du Marmotton que je n’avais pour l’instant vu qu’en photo. Mes yeux confirment ce que l’image m’avait donné comme impression : c’est vraiment joli. Un puits superbement concrétionné, avec une grande et fine coulée blanche, plein de colonnes stalagmitiques, à son sommet des draperies et à sa base une vasque d’eau concrétionnée et dedans... encore des Niphargus ! Une deuxième station de trouvée !

Il est 17 h 30 quand Théo commence à préparer ses futurs amarrages pour pouvoir bosser sur l’arrivée d’eau. Je sors le carnet topo, la boussole et le Disto X3 et commence à prendre des mesures et faire le croquis de la zone pour redessiner ça plus tard sur papier. Je fais quelques photos et note le nombre de Niphargus (4) observés dans la vasque.

Avant de monter voir les départs qui partent d’en haut du puits, j’attends que Théo nous rejoigne sur la plateforme avec l’extrémité de sa ligne de tir et fasse claquer sa première paille. Nous mettons nos bouchons d’oreilles, j’allume ma caméra, et nous lançons tous les trois le compte-à-rebours « samedi 4 juin 2022, réseau des Cracs Badaboums, tentative d’ouverture du boyau du Dernier Espoir : 3, 2, 1… ». Un gros boum résonne et la chute de gros blocs de pierre qui suit indique que la paille a été bien efficace. Le Lynx remonte voir ça et de mon côté je monte dans le puits du Marmotton. Deux accès sur cordes ont été installés sur ses hauteurs, je prends le premier. Je découvre les diverses galeries et boyaux que mes amis ont exploré la dernière fois et suis surpris par la richesse du concrétionnement, ce n’est certes pas encore l’aven de Noël mais pour Vauvougier c’est clairement la plus belle zone si l’on se base sur ce critère. Je prends quelques mesures, dessine dans le carnet puis reviens ensuite en bas du puits du Lynx pour monter sur une corde qui m’amène à la vire installée pour shunter la pente ébouleuse et de faire tomber des blocs plus bas. Je découvre la trémie en plafond qui donne sur quelque chose, mais ce quelque chose ne vend pas beaucoup de rêve ça semble coïncider avec le plafond de la salle (à vérifier cela dit à l’occasion d’une nouvelle journée désob…), à côté de la trémie un méandre impénétrable part à vue d’œil sur au moins 10 m (là aussi à voir s’il faudra l’élargir…).

Je rejoins ensuite Pascal. Au plafond ce qui ressemble à un casque, puis une tête et enfin une paire de bras sortent d’un trou en même temps que quelques bouses de glaise et caillasses… « Tu comptes réellement sortir de là sur corde la tête la première en plein vide ??? ». « Oui, oui » répond l’acrobate qui nous offrira un spectacle de bordel sur corde avant de venir nous rejoindre. Il est littéralement dégueulasse ! Là-haut il s’est farci deux étroitures bien sévères en forçant comme un bourrin… On voit à peine qu’il porte un baudrier sous la couche de boue qui le recouvre… L’allégorie de la fosse septique le type, PornHub premium catégorie « scato fan d’étroitures ».

Je lui demande le bilan de sa journée et il me répond : « de la merde… enfin non… comme on dit : le potentiel est là, mais grosse désob à prévoir ! ». Je le connais il ne va pas se laisser faire… Il reviendra ! Enfin pas demain, car nous avons du coup un autre programme pour cette journée : finaliser les escalades au sommet du puits de l’Espoir dans le réseau AGA et qui sait, peut-être dérouler des kilomètres de première dans des galeries fossiles de 5 m × 10 m (l’espoir fait vivre…comme l’indique le nom dudit puits).

La fine équipe prend donc le chemin du retour… et ça commence par le passage glissant sur la main-courante de mes XXX. Théo y va en premier, il dégringole avec plaisir sur la corde, moi je n’aime pas me jeter sur des mains-courantes je tente de faire ça en douceur… en dernier il y a mon total opposé « l’anti-Rat », aka le Coyote qui lui, fout tout son poids en facteur de chute 8 pour tenter de toute sa force d’arracher des goujons qui tiendront bons bien entendu. Nous arrivons au bivouac peu avant minuit, nous virons nos combis mouillées et crasseuses (en pensant déjà au plaisir de les remettre le lendemain) puis allons nous mettre au chaud dans notre tente « living room ». La fin de soirée sera sympa, comme d’hab, dans notre petit palais souterrain, rhum vanillé, saucisson, fromage des frères Marchand, cacahuètes, un diner trois étoiles VVG. Vers 2 h du matin Pascal et moi irons nous poser dans nos hamacs. Le Lynx ayant oublié le sien, il passera la nuit dans la tente. Les ronflements du Lynx commenceront en moins d’une minute (c’est qu’il a bien bossé le bestiau !) suivis de près par ceux du Coyote et certainement aussi des miens (mais je ne les ai pas entendus).

Dimanche 5 juin 2022. On se réveille tranquillou vers 9 h. Théo qui s’est pelé les miches dans la tente (il n’avait pas de matelas gonflable pour s’isoler du froid par le sol et les couvertures de survie ce n’est pas le top pour ça, mais pas grave il aime bien) se lève en premier et nous prépare un excellent café soluble que je boirai encore dans mon duvet en me balançant tel un pacha.

Caféinés nous passons tour à tour pourrir nos chiottes sèches et enterrerons nos crottes (le premier qui y passe et généralement le mieux servi niveau loto des odeurs… ou des horreurs). Avec un énorme plaisir nous remettons nos combis crades et bien sûr encore humides, puis après avoir pris de quoi bouffer un peu, nous nous dirigeons vers le puits Pepette qui est la base de l’amont du réseau AGA dont le sommet est notre objectif du jour.

On y remplit quelques bouteilles d’eau que nous avons ramenées vides du bivouac puis on commence à monter la série de puits. Sur l’ascension du premier puits Théo remarque la présence d’une araignée colorée aux longues pattes, décidément c’est week-end biospéologie ! Il la prend en photo pour que nous tentions de l’identifier plus tard (d’après nos recherches il s’agit d’une araignée de l’espèce des Opilions dont certaines sont cavernicoles, potentiellement une Amilenus aurantiacus, mais impossible de confirmer avec certitude avec nos photos). Nous continuons notre ascension vers le puits de l’Espoir. L’arrivée à la base de ce dernier me rappelle des souvenirs de juillet dernier… On y arrive par un passage boueux où l’on s’enduit de bouillasse épaisse en un rien de temps avec une pente raide rééquipée, moins « olé-olé », à ma demande.

Théo descend la pente pour chercher la corde d’escalade, Pascal le suit et moi, avant de descendre, je jette un œil vers les plafonds là où nous n’avons pas encore commencé d’escalade… De prime abord je trouve qu’il y a plus de potentiel ici… Je cause avec les compères et on se décide pour commencer les travaux du jour ici.

Le Lynx sort les Pulses et son perfo, s’attache à la corde d’escalade et moi je l’assure au Grigri. Ça grimpe vite la trentaine de mètres et je trouve les points bien éloignés les uns des autres (mais quand je lui dis, il répond que tout est nickel… Ce type m’énerve à un point…). Une fois en haut il pose deux points aux goujons et se lance dans une main-courante remontante. Pascal monte voir et je rigole bien en le voyant galérer avec ses bloqueurs qui bloquent un peu quand ils le veulent « tant qu’il en reste un qui bloque ça va encore » me dit-il en riant (un peu jaune).

Malgré les efforts pour trouver un passage possible, le Lynx ne trouvera pas de suite sur cette zone… Déception. Pascal descend et récupère les Pulses, Théo renvoie la corde d’escalade en bas, fait de même avec la corde antique qui était accrochée là-haut depuis presque 45 ans, puis descend à son tour sur la statique installée ce jour.

Nous retournons à la zone de notre première escalade et Théo file vers le plafond, poursuit le rééquipement commencé en juillet dernier puis tente de trouver une suite en s’enquillant çà et là dans les étroits méandres que forme le sommet du puits… Après une bonne heure de tentative on laisse tomber l’affaire pour aujourd’hui… Une corde d’escalade chute de 35 m, suivi d’une statique ancestrale et le Lynx nous rejoint.

Le mystère de la suite de ce satané puits ne sera pas percé aujourd’hui… Pourtant nous sommes tous convaincus qu’elle existe ! La configuration du réseau AGA nous laisse confiants sur la chose… Il va juste falloir trouver ce satané passage. Nous grignotons un peu, remballons les affaires, profitons de la place restante dans nos kits pour ramener avec nous les vieilles cordes afin de dépolluer la zone, puis entamons la descente sur des cordes qui filent bien. Une fois en bas nous récupérons nos bouteilles de flotte et rentrons au bivouac pour y passer une nouvelle soirée rigolade-restauration-rhum « vanille ». Théo nous prépare d’entrée de jeu une grande gamelle de purée lyophilisée qui sera engloutie avec appétit (un plat chaud fait toujours du bien sous terre).

Pascal sort sa topette pour partager avec nous son rhum de luxe. On se fait un cadavre exquis dans le petit carnet d’or qui reste en permanence dans la tente du bivouac, on rigole en racontant des conneries, ivres nous nous questionnerons sur « où est la suite ? » et imaginant des possibilités au niveau de la grande coulée de calcite. Nous écouterons de la musique grâce à nos Smartphones et c’est bien gavés que nous allons rejoindre nos couchages.

Lundi 6 juin 2022. On se lève au chant du coq, euh non pardon, au chant du Coyote qui se charge de nous préparer le petit-déjeuner. Restaurés nous replions le camp, rangeons le bivouac, listons les vivres restantes, faisons la vaisselle et après un dernier passage aux toilettes nous entamons notre remontée. Je profite des rampings et d’un petit ressaut bien placé dans la galerie des dos d’Ânes pour tenter une nouvelle fois de me débarrasser de Pascal en lui envoyant mon kit droit sur la nuque : encore une fois c’est raté ! Vraiment coriace le bestiau ! On avance bien, on bénit les stocks d’eau planqués par-ci par-là le long du chemin retour (merci les stagiaires sherpas du stage Liges !) et c’est après presque 50 h sous terre (49 h 30… allez, on a le droit d’arrondir !) que nous retrouvons les rayons du soleil et la chaleur estivale.

De retour à la voiture nous trouvons une vache sortie de son enclos et prévenons le fermier. Nous nous changeons, partageons notre traditionnelle canette de bière de sortie de terre et roulons vers Nancy. À peine arrivés dans une zone avec de la réception Théo m’apprend que j’ai gagné le concours d’art spéléo organisé par l’UIS dans le cadre du congrès 2022 avec mon carnet « Journal d’exploration 2014-2022 » ! Wow, quelle chouette nouvelle et encore plus quand on l’apprend après un beau week-end passé sous terre ! Finalement, à toute chose malheur est bon, ma convalescence de janvier m’aura donné l’occasion de trouver le temps de finir ce projet de longue date ! Allez, pour fêter ça je paye mon McDo ! Dommage ils ne servent pas de bière pour les plats à emporter ! Nous trinquerons donc au local après y avoir déposé nos affaires que nous laverons plus tard dans la semaine.

Nous n’avons pas fait les kilomètres de première que l’on se souhaitait, mais ce week-end nous laissera tout de même plein de bons souvenirs. À bientôt VVG ! L’Usan ne va pas lâcher l’affaire aussi facilement !

Toutes les photos et vidéos du week-end sur : https://www.flickr.com/photos/olivier_gradot/albums/72177720299585011

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