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275.2 - Les Diploures (Arthropodes terrestres) observés dans les milieux souterrains de Lorraine
Bernard Hamon
mardi 6 juillet 2021
Jadis rangés parmi les « insectes aptères(1) archaïques », les Diploures sont des Arthropodes(2) terrestres qui forment aujourd’hui une classe à part entière : Diplura. Dans le monde, on compte près de 800 espèces partagées en quatre familles. La Lorraine accueille une quinzaine d’espèces attachées à la famille des Campodéidés.
Ces Campodés ont en commun d’être apigmentés, de disposer d’un abdomen à 10 segments dont l’extrémité est prolongée de deux cerques(3) fins, et d’être dépourvus d’yeux. Leur corps allongé, blanc, mesure de 2 à 5 mm, selon les espèces. La distinction entre les formes épigées(4) et hypogées(5) est affaire de spécialistes et demeure donc délicate : elle porte principalement sur le développement plus marqué de certains appendices qui caractérisent les troglobies(6) : antennes, cerques, soies tactiles. Ginet et Decou (1977) faisaient remarquer que les Diploures cavernicoles étaient plus grands que les formes de surface.
Les Diploures sont polyphages, détritivores, mais les formes troglobies peuvent être carnivores et se révéler de redoutables prédateurs — de Collemboles, par exemple. Leur reproduction est bisexuée. Ils font partie de la faune des sols. Ce sont surtout des Campodés qui comptent des espèces souterraines dont Vandel (1964) écrivait qu’ils « vivent sur les stalagmites, les fentes et les nappes d’argile ». Plus largement, ils font partie de l’association des planchers stalagmitiques, des fentes et des nappes d’argile profondes : il s’agit là de types de biotopes qui leur sont très spécifiques.
Les Diploures observés sous terre en lorraine (Figure I) :
Au moins trois espèces de Diploures ont été observées dans des milieux souterrains de notre région, toutes ayant été déterminées par le professeur Br. Condé (1920-2004), spécialiste des Campodés qui fut directeur du musée zoologique de Nancy et premier président de l’Usan.
Seul Litocampa humilis est un troglobie strict, les deux autres espèces découvertes dans les sables et graviers alluvionnaires de la Moselle, non loin d’Épinal (88), étant des trogloxènes. Pour être complet, signalons que C. Bareth (2008), spécialiste des Diploures, évoquait la « tendance troglophile » de l’espèce Campodea lankestri (Silvestri, 1912), présente en Lorraine, mais qui n’a pas, à notre connaissance, été signalée dans des milieux souterrains de la région.
Espèce |
Découverte |
Nature d’habitat |
Sources | ||
Année |
Inventeur(s) |
Déterminateur | |||
1949 |
B. Brutel & Br. Condé |
Br. Condé |
Karstique |
Condé, 1949 | |
1954 |
R. Duhoux |
Br. Condé |
Interstitiel |
Condé, 1960 ; Picard, 1962 | |
1954 |
R. Duhoux |
Br. Condé |
Interstitiel |
Condé, 1960 ; Picard, 1962 | |
Figure I : Liste des Diploures découverts dans des milieux souterrains de Lorraine |
Ces découvertes, qui remontent à plus de 50 ans, ne se sont pas enrichies de nouveaux apports malgré l’attention particulière portée à la faune cavernicole dans de nombreux espaces souterrains régionaux.
Litocampa humilis en Lorraine (Figure II et III) :
Les stations de Litocampa humilis sont localisées dans trois grottes à Pierre-la-Treiche (54) distantes d’environ 2 km les unes des autres : les grottes des Excentriques — sur la rive gauche de la Moselle — Jacqueline et Sainte-Reine — sur la rive droite.
C’est dans la grotte des Excentriques, légèrement en amont des deux autres, que vit la population la plus dense constatée au regard des collectes faites par les biospéologues : F. Herriot y captura à vue sept individus au cours d’une dizaine de visites entre 1960 et 1963, tandis que J.-L. Contet-Audonneau en collecta 70 par piégeage de 1965 à 1966, le tout dans un secteur baptisé la « galerie des Campodés ».
L’observation de Diploures dans la grotte Sainte-Reine de 1949 paraît exceptionnelle : de 1926 à 1932, le professeur P. Remy, qui inventoria la faune cavernicole de cette grotte au cours d’au moins 13 visites, n’en observa aucun ; pas plus que le professeur J.-P. Henry qui effectua, entre 1958 et 1966, plus d’une dizaine de passages alors qu’il y étudiait l’Isopode Proasellus cavaticus. Dans la grotte Jacqueline un Campodé a été observé à deux reprises à douze années d’intervalle. Or la détermination même de l’espèce demeure incertaine, de l’aveu du professeur Br. Condé qui n’a pas pu examiner l’exemplaire capturé car il a été perdu : seul est acquis le fait qu’il s’agissait d’un Campodé. Par ailleurs, les données historiques ainsi recueillies suggéreraient que la présence des Diploures dans ces deux grottes pourrait être exceptionnelle et qu’elle ne se manifesterait qu’à la faveur de circonstances particulières : conditions météorologiques extrêmes, séquences de débordements de la Moselle… Resterait la question de définir l’origine exacte des spécimens observés : proviennent-ils des réseaux de fente du karst dans lequel se développent les grottes ou bien de la grotte des Excentriques proche à partir de laquelle une dispersion et un essaimage d’individus (ou d’œufs) se produirait lors de ces événements exceptionnels ? Cela reste deux hypothèses, par ailleurs non contradictoires.
Sites |
Zonations biocénotiques |
Environnement climatique |
Année de découverte ou d’observation |
Sources | ||||
T. air (°C) |
H.R. (%) |
T. eau (°C) | ||||||
À la surface de l’eau et sur le sol |
- |
- |
- |
1949 |
Condé, 1949 | |||
Sur le sol et fuite vers une fente |
- |
- |
- |
1961 |
Vaucel, 1961 | |||
2) Grotte Sainte-Reine (galerie des Merveilles) |
Pas d’observation |
8 à 10 |
»100 |
9,5 |
Années 1920 |
Remy, 1927-1932 | ||
Flottant sur l’eau d’un gour |
- |
- |
- |
1949 |
Condé, 1949 | |||
Pas d’observation |
- |
- |
- |
Années 1950-1960 |
Henry, 1960 | |||
3) Grotte des Excentriques (galerie des Campodés) |
Argile humide |
9 |
»100 |
- |
1960 |
Herriot-Henry, 1960 | ||
Argile légèrement humide |
9 à 12 |
»100 |
- |
1960 à 1963 |
Herriot, 1966 | |||
Argile |
- |
- |
- |
1965-1966 |
Contet-Audonneau, 1966 | |||
Figure III : Pierre-la-Treiche (54). Stations lorraines du Campodé Litocampa humilis |
Enfin, ce que la chronique nous indique, c’est que nous sommes en présence dans ce secteur précis de Pierre-la-Treiche d’une métapopulation de Campodés troglobies — Litocampa humilis — dont le territoire pourrait s’étendre largement, voire au-delà des habitats où ils ont été observés.
Pistes de lecture :
-
Bareth C. (2008) — « Les Diploures Campodéidés de Lorraine (Hexapoda, Diplura, Campodeidae) », Bulletin de la Société lorraine d’entomologie, n° 12, Société lorraine d’entomologie, Nancy, p. 13-16 ; https://lorraine-entomologie.org/webobs/biblio/docpdf/Bareth2008-28.pdf
-
Condé Br. (1956) — « Matériaux pour une monographie des Diploures Campodéidés », Mémoires du Muséum national d’histoire naturelle série A - Zoologie, tome XII, Muséum national d’histoire naturelle, Paris, 202 p. ; https://www.biodiversitylibrary.org/page/57296819
Glossaire (NDLR) :
(1) aptère : qualifie un animal dépourvu d’ailes
(2) arthropode : animal à squelette externe chitineux, dont le corps est annelé
(3) cerque : chez certains insectes, appendices situés à l’extrémité de l’abdomen
(4) épigé : qui se développe au-dessus du sol
(5) hypogé : qui se développe dans le sous-sol, souterrain
(6) troglobie : qualité d’un animal exclusivement cavernicole
Source : Wiktionnaire, le dictionnaire libre (consulté le 2 mars 2021) ; https://fr.wiktionary.org/