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287.2 - Explorations à Vauvougier – Acte 5 : « Jackpot »

Olivier Gradot

mercredi 29 juin 2022, par Bertrand Maujean

Participants : Théo P., Pascal O. et Olivier G.

Vendredi 1er avril 2022. Il est 12 h 30 lorsque que je débarque chez le Lynx. Ça fait maintenant trois semaines que nous sommes tous deux obsédés par ce qui se cache en haut du puits que nous avons trouvé derrière l’étroiture des « Cracs Badaboums » lors de notre dernière session d’exploration en mars (voir acte 4 dans LPU 286).

Nous avons fixé la date de ce week-end pour continuer l’exploration et avons pris notre vendredi en congé pour gagner du temps sous terre. L’équipement de progression a été enkité mercredi avant la réunion mensuelle du club et Théo a passé sa soirée d’hier à préparer le matériel escalade et à refaire un stock de pailles. De mon côté je me suis occupé de la bouffe et de la trousse à pharmacie.

Nous chargeons la roulotte et filons au local où nous rejoignons Pascal que nous avons réussi à appâter avec l’envie de faire de la première. Nous blindons sa voiture puis roulons vers Malbrans où nous arrivons pour 17 h. Le plateau est enneigé, c’est beau, je plaisante en disant que l’on va faire une hivernale à Vauvougier. Nous nous équipons (il fait ‑1° C, ça passe mais ça contraste bien avec les 22° C de dimanche dernier), embarquons 5 kits (nous nous en sortons encore bien) et rejoignons le magnifique P38 d’entrée de VVG.

Nous rentrons sous terre à 18 h et après 3 h 30 de crapahut « méandresque » nous arrivons au bivouac que Pascal découvre avec plaisir (c’est qu’on a fait ça bien !). À noter que durant la descente ce dernier nous a fait sa première « Pascalerie » du week-end : arrivé en bas du puits du Guano il s’est rendu compte qu’il avait paumé sa poignée en chemin… Pas grave nous nous débrouillerons sans, nous avons de quoi faire entre Micro-Traxion, Pantins et Tibloc.

Nous fixons deux goujons supplémentaires sur les parois pour installer le hamac de Pascal, installons aussi les nôtres et rentrons dans notre tente nous réchauffer à la chaleur de nos bougies maison à grosses mèches.

Ce soir c’est grand luxe ! Nous sommes encore propres, frais et avons plein de bonnes choses à manger et à boire ! Nous nous offrons un apéro rhum arrangé « gingembre et épices » accompagné de cacahuètes, gendarmes, fromage, saucisson et comme nous avons eu la bonne idée de charger de la musique sur nos Smartphones durant le trajet, nous passerons donc la soirée en compagnie de King Crimson, Led Zeppelin, Pink Floyd et Eric Truffaz. Les discussions alternent entre nos expectations pour les explorations du lendemain et les habituelles conneries qui naissent comme par magie quand nous avons le Pascalou dans l’équipe. Dans le « package » pour l’appâter, nous lui avons donné la mission de nommer les éventuelles zones qui seraient découvertes demain. Vers minuit trente, après un excellent solo de « air guitare » orchestré par Pascal, un carré de chocolat et une gaufre de Lièges, nous nous installons confortablement dans nos hamacs et nous laissons bercer vers le sommeil.

Samedi 2 avril 2022. Nous nous réveillons vers 7 h bien reposés, préparons du café soluble, prenons un petit déjeuner de luxe, passons tous aux « toilettes sèches VVG » (à noter qu’en y allant je me suis retrouvé nez-à-nez avec un moustique… encore un ! à ‑200 m ??? mystère…), préparons notre matériel et rejoignons la zone du chantier.

Pendant que Théo se charge de pailler l’étroiture des « Cracs Badaboums » pour qu’elle soit plus confortable, Pascal et moi commençons la topographie en partant du ressaut qui mène au croisement entre le réseau AGA et le méandre où se trouve l’étroiture. Une fois le passage élargi nous continuons la topographie par la zone se trouvant derrière pendant que Théo se lance dans l’escalade du premier puits en auto-assurance. Pascal nomme ce dernier le « Puits du Coyote », je donne un coup de Disto X3 vers ce qui semble être son sommet, nous sommes à priori sur un P14, à confirmer depuis le haut plus tard. Pascal découvre la belle petite salle richement concrétionnée et la vasque qui nous fait une belle réserve d’eau bien utile. Je fais une observation attentive mais ne constate aucune présence de faune stygobie, je garderai cependant l’œil attentif à ces détails durant nos explorations.

Une demi-heure plus tard Théo redescend du puits du Coyote et pendant qu’il se charge de récupérer les Pulses de l’escalade avec Pascal, je monte remplacer l’équipement « pulsé » du puits par des goujons. Une fois en haut je découvre le « P30 » annoncé par Théo… Bon à vue d’œil il a eu un peu trop d’émotion… un coup de Disto X3 confirmera son côté marseillais. Bilan : nous sommes sur un deuxième P14 à priori, à confirmer depuis le haut.

Une fois les goujons fixés les autres proposent de casser la croûte, je redescends sur la 9,5 mm boueuse, vache ça file bien ! Nous continuons de nous dégueulasser en repassant l’étroiture et allons déjeuner au croisement AGA / Badaboums.

Au menu : pain à la glaise, saucisson à la boue et emmental brun, une alimentation réellement pleine de minéraux pour le coup.

Une fois rassasiés nous remontons en haut du puits du Coyote. Théo me propose de reprendre la suite de l’escalade mais vu la distance entre parois et mon genoux droit qui n’est encore que fraîchement opérationnel, je lui laisse la main et l’assurerai au Grigri. Ses jambes de lynx et son talent pour les « travaux de génie civil en opposition dans le vide assuré par de la corde statique » sont plus adaptés à la situation.

Une demi-heure plus tard le bestiau est en haut du puits et dit à Pascal d’aller choper le matériel pour faire des tirs car une étroiture nous bloque l’accès à la suite. Une fois Théo descendu je monte récupérer les Pulses et fixer les goujons. Je jette un œil à l’étroiture et pour le coup c’est moi qui fais mon Marseillais en disant à Théo « Mec tu passes large toi là-dedans ! », du bas du puits il me répond « tu délires complet, déjà rien que le casque ne passe pas »… Ah… bon bah OK… faut faire péter.

En tout cas vu que la ligne de tir n’est pas assez longue pour déclencher depuis le bas des puits, ça va être une opération engagée, faire sauter du rocher en étant sur corde en-dessous n’est pas l’opération la plus sécurisante qu’il soit, heureusement il peut se planquer dans un recoin et prendra une corde de secours avec lui au cas où des blocs viendraient à « toncher » celle en place durant leur chute.

Une fois le puits goujonné je redescends. Pascal aime tellement l’étroiture qu’il y fait plusieurs allers-retours pour ramener le matos nécessaire en faisant à chaque fois exprès d’oublier quelque chose de l’autre côté (quand on aime on ne compte pas…). Théo monte avec son attirail vers l’étroiture et Pascal et moi allons-nous mettre à l’abri. Après une dizaine de minutes Théo nous dit « attention j’y vais », je lui réponds « C’est bon, fais péter ! ». Deux secondes plus tard un bruit sourd résonne dans la faille et une chute de pierre s’en suit. Pour le coup la paille a été efficace. Les cordes ont bien swingué aussi, je gueule à Théo de vérifier leur état quand il descendra. Après quelques coups de marteau TamTam nous n’entendons plus rien. J’appelle mais nada, pas de réponse, de là où il est, il ne nous entend pas. Puis tout à coup nous l’entendons de nouveau… Je gueule « Ça va ? », il répond « oui c’est de la crotte, je fais encore un tir et je descends, allez choper la grande corde et tout ce qui reste en amarrages » (?!?). Dix minutes plus tard Pascal et moi avons fait un énième passage dans l’étroiture pour rapporter le matos, Théo a refait résonner la faille et il file couvert de boue sur une corde tout aussi couverte de boue. On lui demande « Alors comment c’est ? », il répond en souriant « bah je vous l’ai dit ! C’est Jackpot ! »… Nous rigolons en lui disant que nous avions compris « c’est de la crotte » ah, ah, ah. « Je ne vais pas vous spoiler mais c’est du gros derrière ». L’excitation est à son comble ! Nous montons tous là-haut, l’étroiture se passe nickel et mène à une mini salle d’où il faut escalader un R3 boueux pour voir la suite, Théo équipe le ressaut et le R4 descendant qui le suit, je monte en deuxième et là c’est « wow » c’est une belle salle large et tortueuse, un R4 y mène à un gros puits d’où l’eau ruisselle et du côté opposé une pente raide d’éboulement semble mener quelque part.

Théo équipe le R4 et commence à monter dans l’éboulis. Nous comprenons vite que ça va parpiner méchant, même quand il ne bouge pas des caillasses viennent droit sur nous, nous nous dépêchons de monter et de nous mettre à l’abri à la base du gros puits, je vise son plafond, on est sur un P10. Théo continue sa montée mais ça caillasse de trop et c’est quand même casse-gueule, dans un autre contexte nous y serions tous allés mais se faire mal ici serait une très mauvaise chose… Un secours dans cette zone serait un délire complet, sans compter que la zone est humide et pas du tout propice à une attente correcte. Nous regardons comment modifier l’équipement du R4 pour être à l’abri des chutes de pierres, prenons quelques photos, observons les plafonds et notons le sacré courant d’air qu’il y a dans la salle : ce qui est sûr c’est que l’exploration de ce secteur n’est pas finie ! il y a encore de la belle première qui nous attend, arriverons-nous à ressortir dans un autre gouffre ? En tout cas nous avons bon espoir ! La morphologie du secteur n’est pas du tout du style Vauvougier. Nous décidons de stopper les explorations pour la journée, on a bien bossé et il ne faut pas être trop gourmands. Nous sommes complétement couverts de boue, le poulie-bloqueur de Théo ressemble à un caillou, nos poignées (enfin pour ceux qui en ont une…) et bloqueurs bloquent une fois sur trois : c’est du grand art.

De retour à l’étroiture en tête de puits je demande à Théo de passer en premier afin d’assurer mes prises de pieds. Il passe, je commence à m’engager et là, sans prévenir, un gros bloc se détache de la pente à ma droite, j’ai le réflexe de le freiner avec mes mains mais il pèse son poids le salaud (un bon 20‑25 kg avec du recul) et vient me plaquer, j’ai le torse coincé entre le bloc et le sol de la salle derrière moi. Le flip du moment c’est que d’autres blocs décident de venir le rejoindre. Je dis à Pascal de venir me décoincer d’urgence, il vient prudemment car il voit aussi que le reste n’est pas forcément super stable, de là où il se trouve il ne peut pas le lever. Pour la première fois j’entends Théo dire « putain de merde ». Pour rajouter du plaisir à la situation nous ne pouvons pas le faire valser en bas car Théo est juste en dessous et de même pour l’équipement du puits. Nous arrivons cependant à le garder en équilibre, je me dégage, Théo remonte et arrive à stocker cette saloperie là où elle ne risquera plus de nous emmerder. On s’en sort bien ! À 20 secondes prêt j’aurais pu le prendre sur la main ou pire sur la tronche et il fut heureux que ça n’arrive pas à Pascal car il n’aurait eu du coup personne derrière lui pour pouvoir l’aider. Nous notons tous bien que les caillasses seront un sujet de sécurité pour les prochaines sessions d’explorations. D’autant plus que nous sommes dans une faille avec des zones d’éboulements. « Ça va ton coude ? » me demande Théo, je lui réponds que pour l’instant je n’y pense pas et qu’on va profiter que le coude soit encore chaud pour redescendre. Au besoin nous avons une boîte à pharmacie plutôt efficace et éprouvée, on verra comment ça va plus tard.

Le reste de la descente se fait sans problème, nous remballons le matériel à ressortir du trou et laissons en place ce qui servira ici la prochaine fois en nous disant « on commence quand même à avoir un sacré paquet de matos dans ce trou ! Le jour où il faudra tout ressortir ça va être dantesque ah, ah, ah, mais bon ça ce n’est clairement pas pour tout de suite ! » Pascal repasse une dernière fois par son étroiture favorite. Nous nous accordons une pause grignotage. Comme il reste de la batterie, Théo en profite pour percer les trous qui serviront à équiper une main courante pour l’accès au ressaut qui mène à la base du puits Pepette pour lequel une belle corde va prochainement venir remplacer la corde de 40 ans actuellement en place. Ceci fait nous remballons, Théo va remplir nos bouteilles d’eau à la « cascade » (soyons Marseillais encore une fois) puis nous retournons tranquillement au bivouac où nous arrivons pour les 22 h. Nous enlevons avec plaisir nos combinaisons qui, couvertes de boues, pèsent bien 2 kg de plus que quand elles sont propres, nos sous-combinaisons sont crades aussi, nous enlevons nos bottes et une fois les pieds dans des chaussettes « propres » (Pascal a bien raison quand il nous dit que tout est relatif… un truc qu’on trouvait sale hier peut devenir un truc propre aujourd’hui) nous nous mettons à l’aise dans notre tente.

Théo nous fait chauffer de l’eau et nous prépare une bonne gamelle de purée lyophilisée que nous nous partagerons en dégustant un whisky. Ça fait du bien de manger chaud ! Et comme c’est jour de fête, Pascalou sort sa topette et nous paye un peu de son excellent Rhum de l’île de La Réunion. On s’accorde ensuite sur le nom des puits, Pascal a nommé le premier P14 « puits du Coyote », le deuxième sera le « puits du Rat » en souvenir du bloc de pierre que ce dernier s’est pris dans la tronche, la salle juste après sera la salle du « Cadavre Exquis » (je ne veux pas savoir s’il parle de moi…) et comme il y a un coyote et un rat alors le troisième puits sera alors le puits du Lynx, avec ça si on n’est pas dans la jungle !

À trois dans la tente avec une bougie il fait une chaleur matricielle on ne peut plus agréable qui fait oublier à tous nos odeurs de putois et notre état de propreté déplorable. Nous discutons des prochaines explos, nous nous marrons bien en nous racontant anecdotes spéléos et autres dossiers non classés, nous écoutons de la musique, regardons les quelques photos et vidéos prises ce jour pour documenter l’explo, repicolons un coup de whisky avec du chocolat. C’est l’ambiance si particulière des bivouacs souterrains où des petites choses comme une bougie, une poignée de cacahuètes, une paire de chaussettes sèches deviennent des luxes appréciés. Vers minuit la fatigue nous gagne et nous allons nous coucher dans nos hamacs. À peine Théo allongé qu’il s’endort, Pascal et moi le suivons de près.

Dimanche 3 avril 2022 : nous avions prévu de nous lever à 7 h, mais le confort des hamacs nous laisse couchés jusque 8 h. Nous préparons du café et des tartines de confiture, je prends un anti-inflammatoire et un Doliprane pour le coude qui, maintenant qu’il est froid, est plus rigide qu’hier. Nous remettons avec grand plaisir nos combis crades (je savoure mes néoprènes puantes, froides et trempées), rangeons le bivouac pour le retrouver nickel à notre prochaine venue puis vers 9 h 30 nous attaquons tranquillement le retour vers la surface.

La remontée se fait lentement, nous nous passons les poignées aux fracs pour palier la perte de celle de Pascal. Nous faisons une pause casse-croûte « gendarmes » après le ressaut Machpro, l’accès au passage Marie Blachère me semble chiant avec mon coude en vrac. Arrivé au ressaut menant à « l’ex-étroiture de Vauvougier » (celle dégommée lors du secours de 2021) je trouve un Basic attendant tranquillement sur sa corde que son propriétaire vienne le récupérer… Sacré Pascal ! Bon au moins nous l’avons retrouvé, le puits d’entrée sera plus simple à remonter.

Il est 15 h quand nous arrivons à la sortie, nous sommes restés sous terre 45 heures. Nous sommes accueillis par un beau paysage enneigé, nous immortalisons ce moment avec un selfie de la fine équipe. Nous retournons à la voiture, remettons avec plaisir des fringues sèches et propres (tout est relatif pour le propre) et nous nous offrons le luxe de déguster une Leffe bien fraîche pour célébrer notre première. Nous reprenons ensuite la route vers Nancy avec une pause McDo bien appréciée sur le trajet. Nous arrivons vers 19 h 45 au local où nous déposons le matériel collectif qui sera lavé un des prochains soirs puis nous rentrons chacun chez nous pour une bonne douche bien méritée. Ce fut un week-end d’exploration bien efficace qui restera dans les mémoires. À très vite Vauvougier, nous en avons encore beaucoup à en apprendre sur tes entrailles !

Photos sur : https://www.flickr.com/photos/olivier_gradot/albums/72177720297831845


Voir en ligne : La suite : acte 6

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