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289.1 - Explorations à Vauvougier - Acte 6 : « 1, 2, 3 passages pas sages »

Thomas Bellot

jeudi 1er septembre 2022, par Bertrand Maujean

Vendredi 29 avril. Départ : dix-neuf heures !

 Pascal : … ??? !!! ...
 Moi : Mais si je t’assure, il m’a dit dix-neuf heures pile !
 Pascal : Et tu y crois ? Le temps de prendre le matériel, on n’est pas rendu.
 Moi : Mais pas du tout : le kit est prêt depuis mercredi !
 Pascal : … On n’est pas au bivouac avant quatre heures du matin.
 Moi : Ne soit pas si pessimiste !

Notre séjour confirmera que toutes les prévisions de Pascal seront vérifiées. Ce don de prescience a dû lui être transmis par les Êtres de Lumière pour son engagement dans la promotion de l’homéopathie.

Jouissant d’une confortable avance sur le programme, nous nous sommes octroyés une petite escapade gourmande dans un haut lieu de la gastronomie états-unienne. Pascal seul avait anticipé le repas du soir, mais son paquet de jambon sous-vide avait pris la forme d’un ballon ! Déjà atteint par la toux du nourrisson, il aurait été aventureux qu’il s’inflige davantage de handicap pour séjourner sous terre. C’est bien le fast, de fast-food, qui nous a enthousiasmés. Nous étions au royaume du Burger, et non celui du client. Notre attente fut telle qu’on en vient à penser que les burgers y sont imprimés en 3d.

Les virages et le ronronnement du trois cylindres me bercent alors que je suis avachi sur les bagages. Je perçois qu’à l’avant du véhicule, il est question de brosses oubliées dernièrement. Il est vingt-trois heures, je commence ma nuit. Soudain, la voiture se stationne devant un gîte bien connu : génial ! Mais ma joie se dissipe rapidement car on s’arrête uniquement pour récupérer des brosses. Des brosses ? Mais pour quoi faire ? Des brosses pour brosser une infâme bouillasse collante dont on me garantit qu’elle s’immiscera bien au-delà de ma sous-combi !

Stationnés en lisière de forêt, nous empruntons une prairie qui s’étire en pente douce vers l’entrée de Vauvougier. Théo équipe ; je bâille une dernière fois et me laisse glisser telle une pole-danseuse éméchée sur la main-courante. Je redécouvre le puits d’entrée, avec ses trois fractionnements et le pendule final. Quelques étroitures plus tard, nous arrivons au bivouac à moins 200 mètres de l’entrée. Il est quatre heures. Un bien beau bivouac ma foi, sec et plat. Une coquette tente à son extrémité abrite provisions et couchages. Nous trouvons également plusieurs penderies ainsi que les commodités. Pour les amateurs de nuit à la belle étoile, des anneaux bien espacés sont à disposition pour accrocher les hamacs : le grand luxe. Le dîner expédié, c’est le moment tant attendu du repos. Je m’endors sans effort enveloppé d’une douce odeur de carbure. À peine assoupi le réveil sonne.

Nous nous mettons rapidement en route vers l’inconnu, là où aucun mammifère plus gros qu’une chauve-souris n’a dû y traîner ses guêtres. La grotte depuis l’entrée au bivouac fut particulièrement sèche, ça en croustillait même sous la dent. Alors que celle que nous explorons, elle, est incroyablement humide ! Nous progressons une petite heure pour stopper dans une étroiture verticale qui parpine sec. L’ensemble est rendu instable par l’agglomérat de bouillasse et de caillasse. Ça parpine peut-être aussi, car Théo installe une main-courante en amont. Nous constaterons que la salle suivante est un pierrier bien pentu. Cette nouvelle salle débouche sur plusieurs issues qui remontent. C’est encourageant, car il reste une bonne centaine de mètres avant la surface ! La première issue ne donne rien. Mais la seconde débouche sur un puits d’une vingtaine de mètres. Il est bien concrétionné avec une élégante vasque ovoïde profonde d’une coudée. C’est certainement le plus beau puits de toute la grotte ! C’est non sans fierté que Théo et Pascal me proposent, tout en restant dans la tradition des grands animaux, de baptiser ce puits en mon honneur : le « Puits du Marmotton ». Le haut de ce puits « queute », dixit Théo, la suite se trouve quelques mètres plus bas. Une terrasse basse de plafond entièrement concrétionnée. On y découvre plusieurs passages étroits qui donnent tous dans le puits : une impasse. Une troisième voie s’offre à nous : remonter la petite source en contrebas qui n’a pas manqué de nous crachoter dessus toute la journée. Il est vingt-trois heures. Installé sur la main-courante, Pascal assure Théo. La source est quelque peu obstruée, mais rien d’infranchissable. C’est de là que se poursuivra la prochaine exploration ! Il est désormais l’heure de rentrer au bivouac.

Un repas chaud, complet et déséquilibré nous récompensera de nos efforts de la journée. Une bonne nuit de récupération nous donnera la force de remonter le lendemain à la surface. C’est sans surprise que cette fameuse nuit fut bien trop courte. Il faudrait en enchaîner deux pour espérer trottiner guilleret jusqu’à l’entrée. Mais ce trou vraiment intéressant fait oublier la fatigue. On y trouve une belle variété de progressions : avec des puits étroits, plusieurs pendules et quelques courts méandres qui frottent juste assez. Le puits d’entrée me plaît particulièrement. L’humidité et la fraîcheur signale qu’on s’en approche. Le caillou luit et glisse. À la fin de la main-courante, il faut se laisser penduler plein gaz jusqu’au centre du puits. On aperçoit alors la surface, le bleu du ciel et le vert tendre du feuillage printanier. C’est à mi-hauteur qu’on regagne les odeurs. La première est un parfum de mousse, puis de chlorophylle. On traverse alors une frontière olfactive si familière qu’on prend rarement conscience de son existence. Dans les derniers mètres la couleur revient. Le gris de la roche tourne doucement au vert émeraude, puis tend vers un vert bouteille. Mes yeux vidés se remplissent à nouveau de lumière. Un rayon de soleil me désigne une roche confortable : je me délonge, puis je m’allonge.


Voir en ligne : La suite : acte 7

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