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298.3 - Harmonville (88). Le réseau souterrain du Fond de la Souche. Cæcosphæroma burgundum : 50 ans d’histoire

Bernard Hamon, CPEPESC nationale (extrait de SSB n° 542, novembre 2022, CPEPESC nationale, Besançon)

mardi 6 juin 2023, par Bertrand Maujean

La grotte du Fond de la Souche à Harmonville (88) fait partie du large réseau karstique de l’Aroffe. Les premières données de Crustacés stygobies reconnus remontent à 1974 : les spéléologues Chr. Barbier et G. Vaucel font état de la présence de Cæcosphæroma et de Niphargus vivant dans une eau dont la température est de 9 à 9,3° C (in Hadès n° 3, 1972). Des Niphargus ont été prélevés et transférés pour étude au laboratoire de la faculté des sciences de Nancy, mais la littérature ne mentionne pas l’espèce. Quant à Cæcosphæroma burgundum, il aurait été déterminé par le professeur Br. Condé, les inventeurs n’ayant pas apporté de précisions sur l’identité du scientifique qui a procédé à l’identification de l’espèce (in Spéléo L n° 25, 2016).

En 1979, G. Vaucel, biospéologue nancéien, précise que ces Isopodes « sont nombreux dans toute la grotte » (in Hadès n° 7, 1983). L’exploration des secteurs ennoyés s’engage dans les années 80-90. J.-M. Lebel, spéléologue plongeur, qui a procédé à des plongées dans les siphons du réseau y a observé de nombreux Cæcosphæroma. Selon un témoignage recueilli auprès de D. Prévot, les Crustacés proviennent « des sources qui jaillissent le long de la galerie en bordure de la rivière souterraine ». Le siphon 71 en accueillant est cité (in Info Plongée n° 60, 1993). Le nombre de Cæcosphæroma était tellement important que J.-M. Lebel signale que lors de ses explorations, sur son passage, « ils tombaient comme des flocons de neige des parois (com. pers., D. Prévot du 3/9/2010). La population s’étend également dans les parties hydrauliques du réseau accessibles à pied et là, selon les témoignages recueillis, les effectifs peuvent fluctuer d’une manière très sensible. C’est ainsi qu’en 1993, J.-J. Gaffiot, spéléologue vosgien qui avait visité la grotte, nous faisait part que « l’espèce a été éradiquée du réseau du Creux de la Souche à Harmonville » (in litt., J.-J. Gaffiot du 11/5/1993) car il n’en avait vu aucun. À l’inverse, en 2014 et 2015, D. Prévot nous confirmait une présence importante de Cæcosphæroma au Fond de la Souche, notamment sur le siphon aval (com. pers., D. Prévot du 10/10/2014 et du 3/9/2015). Les informations les plus récentes et les plus riches remontent à 2020 lorsque J. Tournois (GERSM), O. Gradot et Th. Prévot (Usan), tous trois spéléologues, effectuent une exploration souterraine du site le 14/6/2020 et y observent « des myriades de Cæcosphæroma tout au long de la galerie » du réseau 79 (in Le P’tit Usania n° 265, 2020). Contacté par nos soins, Th. Prévot témoigne de la présence de « tapis de Cæcosphæroma présents par milliers ainsi que contre les parois du siphon, la température de l’eau étant de 12-13° C » (com. pers., Th. Prévot du 15/10/2020). Des clichés pris par O. Gradot attestent de cette richesse faunistique. Lors de cette visite, les spéléologues avaient également dénombré la présence d’une dizaine de Niphargus, observation rare des Amphipodes dans le réseau.

Le 11/9/2022, l’Usan organisait une visite du site dans le cadre d’un projet d’étude intégrant le Fond de la Souche. Plusieurs centaines de Cæcosphæroma étaient observés. « Ils étaient si nombreux dans l’eau de la galerie qu’il était impossible de les éviter » (com. pers., Chr. Prévot du 6/10/2022). Des clichés pris par O. Gradot montrent l’importance des effectifs et leur densité par plage de cette population qui comprend à la fois adultes et immatures.

Le Fond de la Souche est certainement à ce jour, et en l’état actuel des connaissances, le site souterrain karstique qui accueille la population visible de Cæcosphæroma burgundum la plus forte de Lorraine où elle apparaît dans les parties pénétrables du réseau tant dans les galeries que dans les siphons.

L’Isopode vit dans une eau dont la température se situe à 11±2° C, ce qui correspond à la fourchette des températures moyennes relevées dans les autres habitats lorrains de l’espèce (10±2° C, Hamon, 2016). Les différents témoignages recueillis montrent que cette population peut connaître des phases de recul, voire de disparition temporaire dans les secteurs non ennoyés, ce qui pourrait correspondre à des cycles qui rythment sa dynamique générale (prédation, zoonose…) ou à des circonstances environnementales particulières (qualité de l’eau, pollutions, température…). Ces phénomènes de fluctuation ont pu être observés dans d’autres sites lorrains comme la grande carrière de Savonnières-en-Perthois (55) où, suivant les visites, les stations peuvent être abondantes ou dépourvues d’individus ? Mais le repli des Isopodes dans les parties profondes du karst n’est pas à exclure : c’est bien dans ces espaces que réside l’habitat de ces Crustacés, lesquels demeurent délicats, voire inaccessibles à l’observation.

Le Fond de la Souche constitue une station intermédiaire de l’Isopode dans le réseau de l’Aroffe, entre celle au sud de Gémonville (54) décrite par J.-P. Henry et Cl. Marvillet en 1970 (in Spelunca mémoires n° 7, 1970) et celle de la rivière souterraine du Chalot à Ochey (54) au nord dans laquelle M. Louis a observé des individus morts, pris dans la calcite (in Spéléo L n° 11, 1979). Cæcosphæroma burgundum constitue, à sa manière, « un traceur biologique » du réseau de l’Aroffe. L’espèce devrait être découverte dans d’autres séquences du réseau, voire à la résurgence de la Rochotte à Pierre-la-Treiche.

Pistes de lecture :
 Gamez P., Letouze F. & Sary M.  (1985) - « Le bassin karstique de l’Aroffe », Spelunca mémoires n° 14, FFS-Lispel-AFK, p. 78-79
 Hamon B. (2016) - « L’Isopode Cæcosphæroma burgundum burgundum Dollfus, 1898 en Lorraine. Le point sur les connaissances acquises en 2015 », Spéléo L n° 25, Lispel, p. 5-24

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